En
nous montrant en l’homme un être qui sait parfaitement ce qu’il désire, ou
qui, s’il paraît ne pas le savoir, a toujours un “inconscient” qui le sait
pour lui, les théoriciens modernes ont peut-être manqué le domaine où
l’incertitude humaine est la plus flagrante. Une fois que ses besoins
primordiaux sont satisfaits, et parfois même avant, l’homme désire
intensément, mais il ne sait pas exactement quoi, car c’est l’être qu’il
désire, un être dont il se sent privé et dont quelqu’un d’autre lui paraît
pourvu. Le sujet attend de cet autre, qu’il lui dise ce qu’il faut désirer,
pour acquérir cet être. Si le modèle, déjà doté, semble-t-il, d’un être
supérieur, désire quelque chose, il ne peut s’agir que d’un objet capable de
conférer une plénitude encore plus totale. Ce n’est pas par des paroles,
c’est par son propre désir que le modèle désigne au sujet l’objet
suprêmement désirable.
Nous revenons à une idée ancienne mais dont les implications sont peut-être
méconnues: le désir est essentiellement mimétique , il se calque sur un
désir modèle; il élit le même objet que le modèle.
Le mimétisme du désir enfantin est universellement reconnu. Le désir adulte
n’est en rien différent, à ceci près que l’adulte, en particulier dans notre
contexte culturel, a honte le plus souvent, de se modeler sur autrui; il a
peur de révéler son manque d’être. Il se déclare hautement satisfait de
lui-même; il se présente en modèle aux autres; chacun va répétant:
“Imitez-moi” afin de dissimuler sa propre imitation.
Deux désirs qui convergent vers le même objet se font mutuellement obstacle.
Toute .mimesis portant sur le désir débouche automatiquement sur le conflit.
Les hommes sont toujours partiellement aveugles à cette cause de la
rivalité. Le même, le semblable, dans les rapports humains, évoque une idée
d’harmonie: nous avons les mêmes goûts, nous aimons les mêmes choses, nous
sommes faits pour nous entendre. Que se passera-t-il si nous avons vraiment
les mêmes désirs? |