Bling Bling

 

 

 

 

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Comment peut-on être bling-bling ?, par Laurent Greilsamer

LE MONDE | 07.01.08 | 13h53  •  Mis à jour le 07.01.08 | 13h53


 

ne nouvelle expression est née. Une expression curieuse, un peu familière : "bling-bling". Cette répétition de la même syllabe, on connaît. On peut citer au hasard : fifty-fifty, gnangnan, à qui mieux mieux... En général, ce redoublement d'une syllabe n'annonce rien de bon. C'est du moyen-moyen.

Ce fameux bling-bling entend aujourd'hui caractériser une forme de tape-à-l'œil nouveau riche. Les lendemains de la guerre de 1939-1944 avaient vu fleurir les BOF, ces crémiers qui avaient fait fortune dans le marché noir en tenant d'une main impitoyable leurs boutiques sur lesquelles étaient délicatement peintes les mentions "Beurre, œufs, fromages" : d'où ce BOF génial, et désormais oublié. Les parvenus d'aujourd'hui sont plus sympathiquement bling-bling. A en croire la rumeur - mais faut-il croire la rumeur ? -, ils portent de grosses Rolex (c'est peut-être un pléonasme), circulent à bord de gros 4 × 4 (c'est probablement encore un pléonasme) et s'affichent au bras de grands ex-mannequins (c'est définitivement pléonastique).

Le quotidien Libération s'en est ému à la "une", en titrant, il y a quelques jours : "Le président bling-bling". Dans ce peu de mots, on devinait plus qu'une réticence, la marque d'une franche distance teintée de mépris. Comment peut-on être bling-bling, semblait s'interroger notre confrère ? Comment peut-on concilier le fait d'être président de la République et le fait d'être vulgaire ?

Réfléchissons donc sur cette vulgarité, essayons d'en cerner les contours. Est-il par exemple vulgaire de se rendre à Disneyland ? Non, c'est tout simplement déprimant. Est-il vulgaire de porter de grosses lunettes de soleil à tout propos ? Non, c'est recommandé si l'on a les yeux fragiles et particulièrement sensibles à la luminosité. Est-il vulgaire de faire preuve de familiarité en multipliant les gestes enveloppants avec ses interlocuteurs ? Non, c'est la forme affichée d'une chaleur spontanée ou calculée.

Ceux qui concluent à la vulgarité sont en réalité heurtés par le mélange des genres, par le fait de pouvoir sans frémir incarner la France à travers la fonction de président de la République tout en ne renonçant à aucune ostentation. Mais en quoi porter une montre de marque prestigieuse est-il contradictoire avec le fait de diriger un Etat ? En rien. Donc, ce qui gêne, c'est plutôt le décalage entre une fonction politique assumée et un étalage revendiqué. Ce qui gêne, c'est le fossé entre la retraite (intellectuelle, spirituelle) envisagée après la victoire présidentielle et les quelques jours de farniente finalement grappillés sur le Paloma, entre le vote des Français en faveur de la rupture, le 6 mai 2007, et la soirée du Fouquet's. Ce qui gêne, c'est ce petit quelque chose de Berlusconi que l'on retrouve en Sarkozy. Pouvoir, fric et paillettes.

Mais, voilà, le président bling-bling n'en a cure. Sans complexe, sans tabou, il va. Il prend la symbolique quand elle s'impose, la repousse quand elle le gêne. Il tutoie volontiers les rois et les pêcheurs, mais recourt sans problème au vouvoiement lorsqu'il s'adresse à Dominique de Villepin. Peut-être a-t-il compris que l'on est toujours le vulgaire des autres, de même que l'on est toujours le snob ou le plouc de service de quelqu'un.

Nous avons connu, il n'y a pas si longtemps, un premier ministre (Pierre Bérégovoy, 1925-1993) ignorant des usages en vigueur dans la bonne bourgeoisie parisienne et portant des chaussettes qui tombaient. L'un de ses collègues l'avait relevé... Nous avons aussi eu un président de la République (Jacques Chirac) qui appréciait follement de prendre le frais, l'été, au fort de Brégançon, en se promenant en bermuda, mocassins et chaussettes. Encore les chaussettes ! Et alors ?

 

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