Ce
livre se divise en trois parties, chacune étant en soi un essai
d’explication d’ensemble:
La première met en cause une histoire quasi-immobile, celle
de l’homme dans ses rapports avec le milieu qui l’entoure; une histoire
lente à couler, à se transformer, faite surtout de retours insistants, de
cycles sans cesse recommencés. Je n’ai pas voulu négliger cette histoire-là,
presque hors du temps, au contact des choses inanimées, ni me contenter, à
son sujet, de ces traditionnelles introductions géographiques à l’histoire,
inutilement placées au seuil de tant de livres, avec leurs paysages
minéraux, leurs labours et leurs fleurs qu’on montre rapidement et dont
ensuite il n’est plus jamais question, comme si les fleurs ne revenaient pas
à chaque printemps, comme si les troupeaux s’arrêtaient dans leurs
déplacements, comme si les navires n’avaient pas à voguer sur une mer
réelle, qui change avec les saisons.
Au-dessus de cette histoire immobile se distingue une
histoire lentement rythmée: on dirait volontiers, si l’expression n’avait
été détournée de son sens plein, une histoire sociale celle des groupes et
des groupements. Comment ces vagues de fond soulèvent-elles l’ensemble de la
vie méditerranéenne, voilà ce que je me suis demandé dans la seconde partie
de mon livre, en étudiant successivement les économies, les Etats, les
sociétés, les civilisations, en essayant enfin, pour mieux éclairer ma
conception de l’histoire, de montrer comment toutes ces forces de profondeur
sont à l’œuvre dans le domaine complexe de la guerre. Car la guerre, nous le
savons, n’est pas un pur domaine de responsabilités individuelles.
Troisième partie enfin, celle de l’histoire traditionnelle,
si l’on veut de l’histoire à la dimension non de l’homme mais de l’individu,
l’histoire événementielle: une agitation de surface, les vagues que les
marées soulèvent sur leur puissant mouvement. Une histoire à oscillations
brèves, rapides, nerveuses. Ultra-sensible, par définition, le moindre pas
met en alerte tous ses instruments de mesure. Mais telle quelle, de toutes
c’est la plus passionnante, la plus riche en humanité, la plus dangereuse
aussi. Méfions-nous de cette histoire brûlante encore, telle que les
contemporains l’ont sentie, décrite, vécue au rythme de leur vie, brève
comme la nôtre. Elle a la dimension de leurs colères, de leurs rêves, de
leurs illusions… Au XVIe siècle, après la Renaissance, viendra la
Renaissance des pauvres, des humbles, acharnés à écrire, à se raconter, à
parler des autres.
(…) Ainsi, sommes nous arrivés à une décomposition de l’histoire en plans
étagés. Ou, si l’on veut, à la distinction, dans le temps de l’histoire,
d’un temps géographique, d’un temps social, d’un temps individuel. Ou, si
l’on préfère encore, à la décomposition de l’homme en cortège de
personnages. |