Bloguer

Blog

De Web log, on le sait, il signifie d’abord un journal de bord, quelque chose comme ces scories de faits, ou cet égayement épars de pensées, jetées là sans ordre autre que chronologique, pouvant servir, demain, d’exorde ou d’agonie pour une hypothèse ou une intuition peinant à se frayer un chemin. Moins scorie finalement que brouillon en redoutant précisément qu’il ne brouille les pistes.

Peut-être le blog est-il aussi la réponse que nous tentons à cette solitude où l’enseignant patauge au moins autant que le chercheur  même si elle reste la grande condition de l’efficacité et de la liberté ! Un peu honteusement il y a quelque lâche soulagement à considérer que d’autres se heurtent aux mêmes impasses, aux mêmes obstacles, aux même doutes … A tout prendre, quitte à être en souffrance, au moins ne pas feuler seul !

Et me souvenir de ce que j'appris en son temps de M Serres !

log

S’il est un mot que j’aime d’entre tous à retenir de notre lignage grec, c’est bien logos. Pour ce qu’il signifie rassembler, recueillir, et laisse entendre que la pensée, après tout, consiste d’abord à réunir ce qui devant nous fait mine d’être éparpillé … De s’égayer, justement.

Où je devine combien la pensée participe toujours un peu de l’effort du pâtre, empressé de réunir l’agneau un peu sot s’aventurant hors des limites prescrites. Pour cela, elle cherchera toujours dehors, parcourant les espaces inconnus – ou trop connus pour être encore regardés, et sans qu’il s’en rende toujours compte, trace des lignes. On y trouve quelque chose de la courbe, du cercle ; de ce qui nous encercle.

Signe des temps, nous ne traçons plus l’espace de nos villes d’un pomerium ou de remparts mais uniquement de ces hideux festons d’asphalte où nous aimons lanterner avec la torpide ténacité des moutons que nous sommes devenus !J’aime ces lignes, pourtant, qui disent nos ambivalences, nos peurs autant que nos regrets ; notre morgue autant que nos piétés ! Car la ligne, comme toute frontière, est une fable - ou une abstraction, c’est tout comme - qui nous cloître, nous protège quitte à nous offrir un promontoire d’où projeter quelque huile chaude sur l’infâme assaillant ; qui, parfois, nous ouvre l’espace en déchiquetant l’infime interstice par où rencontrer l’autre, ou soumettre le barbare ! C’est que la ligne à la fois ouvre et ferme ! C’est que la ligne dessine un intérieur autant qu’un extérieur !

Mais j’ai tant de mal à savoir qui, de nous ou de l’autre, est rejeté à l’extérieur. Question de point de vue, de perspective, dit-on ! Voire !

Nous le savons pourtant depuis Tite-Live : la ligne qui pourfend ainsi l’espace est le fait du Prince, sa marque et sa violence ; son délire et son devoir. Car la ligne ainsi courbée est toute de violence entachée. Elle est la marque du glaive sacré qui ne peut fonder qu’en excluant comme si le prix de l’identité et de l’institution devait à jamais rester celui de l’exclusion ou du bannissement. Mais les lignes sont faites pour être transgressées ne serait-ce que pour attester de la puissance du Maître ; ne serait-ce que pour enclencher ce récit plein de bruit et de fureur ! Mais alors qui sont, ici ces Rémus bravant l’interdit pour s’en aller baguenauder sur les iles étranges ? Mais alors qui sont ici les Attila prompts à assaillir nos greniers à lettres et blé ? Ils sont ici, je les vois, je les devine, leurs armes lettreuses à la main. Car l’épée que l’on fourbit, tournoyant autour de l’adversaire à un équivalent étymologique, le saviez-vous ? Périphérique ! Précisément !Pourtant c’est au lieu même de cette ligne, en ce point de la ligne, qui n’occupe aucun espace, comme nous le rappelle sans cesse la géométrie, oui c’est ici que se joue cet équilibre si fragile qui manque toujours de nous faire tomber ici ou là, à l’intérieur ou à l’extérieur, où surtout s’esquisse cette danse ou cadence qui n’est au fond que chute rattrapée, que nous nommons art ! Il y a du funambulisme dans cet espace qui nous convie ici ! A parler, ou tomber ! A lire ou virevolter !

Car cette ligne, si elle se compromet souvent avec la guerre, nous promet pourtant, en même temps,  la pensée et les sens ! 

Et se souvenir combien encore celui qui pense et cherche demeure un guerrier, à l’ombre de cette hégémonie qui signe sa procession d’avec le berger, tant il ne désire rien tant que définir, délimiter, tracer des lignes qui ne cessent pour autant jamais jamais de s’incurver. Car comment oublier combien celui qui assaille la cité et se tient ainsi autour des remparts convoités, est en même temps celui qui aborde au risque de saborder… : celui qui arraisonne ! Ce qui se dit aussi epistémè ? Celui qui se tient ici, alentour, est en même temps celui qui veut faire le tour de la question, et donc être encyclopédique, ou cerner son problème. Il est celui qui assiège, cité ou objet, qu’importe, celui qui fait le tour de la question, et se tient là pour la cerner, saisir : ce que dit concevoir  où l’on retrouve quelque chose de ce travail de la main qui appréhende et attrape où l’allemand dit begreifen rappelant si bien les griffes de l’aigle! 

Se souvenir ainsi combien ainsi celui qui pense est amateur d’ordre, même s’il ne déteste pas à l’occasion, bousculer celui établi, combien toujours il soupçonne que sous le maelstrom quotidien, se niche un ordonnancement que la raison est avide de dénicher : oui ! sous la pensée quelque chose du dévoilement, de la mise à jour où le grec entendait vérité (aléthéia) et par quoi celui qui cherche aura toujours quelque chose du détective, du fouineur, du rat de bibliothèque. A l’affût de ce qui prouve ou le conforte dans ses hypothèses, il est chasseur au moins autant que flic ! guerrier au moins autant que berger !

chercher

La recherche ne dit rien de moins où l’on trouve sans peine circa, la courbe ou le cercle ! Oui, je cherche ici l’importun qui tourne autour du pot, l’universitaire qui stocke les matériaux de son encyclopédie ou l’ange qui fomente la révolution, ce qui est tout un ! Celui-là cherche, et parfois trouve;  mais trouver ne dit rien d’autre que trope ou tropiques et donc, encore, le cercle, la courbe. Unis dans une danse effrénée autour d’un improbable totem, que faisons-nous ici, sinon entonner quelque sauvage bacchanale, exciper quelque extase, qui précisément nous ferait nous tenir enfin au dehors, plutôt que simplement autour ?Il arrive parfois que celui qui cherche ainsi, trouve ! Or trouver dit derechef la torsion, quelque chose comme la souffrance ou la tourmente ! L’art, ou la gageure, consistera sempiternellement à se maintenir, à califourchon sur la ligne, pour ne pas tomber ! A assumer cette torsion, faute de quoi, pétri de certitudes, qui toujours déportent la souffrance sur l’autre, il ne restera plus qu’à s’inventer un centre, comme il en est du centre de recherche, et diriger. Car savoir, tient de la ligne que trahit assez bien le recteur ! Alors oui, celui qui trouve n’a d’autre choix qu’entre le trouvère et le directeur, entre le cercle qui s’ouvre et fait trébucher et la roide ligne qui enferme en son centre ! La pensée nous dit ceci aussi : ce choix, cette option que l’on cache si souvent, entre le glaive et la lettre, le fermé et l’ouvert, la puissance ou l’acte !

Mais surtout !

Celui qui pense, cherche et trouve parfois, agit. Or, qu’est donc l’acteur sinon d’abord ce berger qui conduit son troupeau, manquant toujours de s’égayer dans l’espace et tâche sempiternellement de le réunir. A l’intersection de ce qui se trouve et se perd, ici à l’interstice ce que qui se cache et parfois se dévoile, dans ce lent mouvement où s’éclot l’être, oui il y a à la fois celui qui agit et cache, celui qui dit la vérité non comme réalité mais comme révélation, comme dévoilement ! Comme passage !Assurément, celui qui agit, marche et ouvre ainsi l’espace ! Nul agneau que l’on sacrifierait ainsi, non simplement celui que l’on conduit hors de l’étable, dans cet espace ouvert du dehors, où le désordre inévitable du troupeau qui s’égaye le dispute à la substance que l’on broute pour se restaurer, en cet autre équilibre d’entre ordre et désordre où se joue l’être, où la ligne manque toujours de fermer le cercle, mais où se risque surtout la vie ! Le pâtre exagère, étymologiquement, il conduit sa horde à l’extérieur, tentera toujours de rassembler, de réunir ce qui immanquablement tend à se détourner ou divertir ! S’y joue ce que la langue nomme indistinctement essaim ou examen mais aussi essai ou exactitude.Ainsi le berger, dans son effort pour rassembler et réunir, est-il certes un acteur, mais esquisse-t-il surtout cette ligne où l’être circonvient la pensée ! Faut-il alors s’étonner que là où le grec dira logos, qui signifie précisément réunir, recueillir, le latin, lui, dit - co-agitare!Je ne sais pas vraiment ce que faisons-là ! Je sais juste que je ne veux pas entendre ce qu’auraient à me dire ou fourbir ceux qui sont à l’extérieur : tout simplement parce que je ne veux pas être à l’intérieur ; tout simplement parce que je ne veux pas d’intérieur ! J’aime trop les marges, les marches et les frontières pour ne pas désirer y demeurer à califourchon !

Je voulais écrire cela d’abord sur ces blogs qui tentent de nous réunir, ce qui est déjà acte de pensée !

Nous rappeler qu’il n’est ainsi pas tant de différence que cela d’entre savoir et rêver, d’entre science et art ; d’entre chercher et trouver ! Je ne le sais pas depuis longtemps parce que je le sais depuis toujours, mais je ne puis le dire que parce que je m’efforce de demeurer, stoïque, à la périphérie ! De ces trois lieux, intérieur, extérieur et sur la ligne, sans doute n’en est-il qu’un de réellement mortifère : l’intérieur ! S’égayer à l’extérieur tel le pâtre, ou claudiquer sur le fil tel le funambule voici les seuls pourtours d’où la parole est désirable.Ne pas quêter le magistère pour ne pas succomber au ministère ! Préférer, oui, l’acte à la puissance parce qu’il est seul à pouvoir concéder quelque lueur à ce récit trop furieux ! Qu’il est de l’essence de l’acte, d’être parole, et originaire. J’avais oublié que la Genèse nous l’eut enseigné ! Celui qui parle est ainsi toujours à l’extérieur ! Et je reconnais, décidément la vie à ceci qu’elle dessine plutôt des courbes que des lignes, des essaims plutôt que des colonnes.

Regardez autour de vous, vous ne verrez ni barrière ni muraille ! Le périmètre où nous nous tenons, notre hôte sut le préserver ouvert. Grâce à ceci nous pouvons circuler, rester encore dans cette courbure d’une périphérie qui parle !A l’intersection, pour ne jamais interdire, à l’intersection pour recueillir ! Dire le symbole pour réunir ; désirer penser pour éviter le diabole qui tranche et fourbit. Ne désirer ni la section, ni le centre mais la courbure pour se pelotonner autour ! A la périphérie du savoir et l’art !