Tite Live

Ab urbe Condita, II

XL. [1] Alors, les dames romaines se rendent en foule auprès de Véturie, mère de Coriolan, et de Volumnie sa femme. Cette démarche fut-elle le résultat d'une délibération publique, ou l'effet d'une crainte naturelle à ce sexe ? je ne saurais le décider. [2] Ce qu'il y a de certain, c'est qu'elles obtinrent que Véturie, malgré son grand âge, et Volumnie, portant dans ses bras deux fils qu'elle avait eus de Marcius, viendraient avec elles dans le camp des ennemis, et que, femmes, elles défendissent, par les larmes et les prières, cette ville que les hommes ne pouvaient défendre par les armes. [3] Dès qu'elles furent arrivées devant le camp, et qu'on eut annoncé à Coriolan qu'une troupe nombreuse de femmes se présente; lui que, ni la majesté de la république, dans la personne de ses ambassadeurs, ni l'appareil touchant et sacré de la coriolanreligion, dans la personne de ses prêtres, n'avait pu émouvoir, se promettait d'être plus insensible encore à des larmes féminines. [4] Mais, quelqu'un de sa suite ayant reconnu, dans la foule, Véturie, remarquable par l'excès de sa douleur, debout au milieu de sa bru et de ses petits-enfants, vint lui dire : « Si mes yeux ne me trompent, ta mère, ta femme et tes enfants sont ici. » [5] Coriolan, éperdu et comme hors de lui-même, s'élance de son siège, et court au-devant de sa mère pour l'embrasser; mais elle, passant tout à coup des prières à l'indignation : « Arrête, lui dit-elle, avant de recevoir tes embrassements, que je sache si je viens auprès d'un ennemi ou d'un fils; et si dans ton camp je suis ta captive ou ta mère ? [6] N'ai-je donc tant vécu, ne suis-je parvenue à cette déplorable vieillesse, que pour te voir exilé, puis armé contre ta patrie ? As-tu bien pu ravager cette terre qui t'a donné le jour, et qui t'a nourri ? [7] Malgré ton ressentiment et tes menaces, ton courroux, en franchissant nos frontières, ne s'est pas apaisé à la vue de Rome; tu ne t'es pas dit : derrière ces murailles sont ma maison, mes pénates, ma mère, ma femme et mes enfants ? [8] Ainsi donc, si je n'avais point été mère, Rome ne serait point assiégée; si je n'avais point de fils, je mourrais libre dans une patrie libre. Pour moi, désormais, je n'ai plus rien à craindre qui ne soit plus honteux pour toi, que malheureux pour ta mère, et quelque malheureuse que je sois, je ne le serai pas longtemps. [9] Mais, ces enfants, songe à eux : si tu persistes, une mort prématurée les attend ou une longue servitude. » À ces mots, l'épouse et les enfants de Coriolan l'embrassent; 89 les larmes que versent toutes ces femmes, leurs gémissements sur leur sort et sur celui de la patrie, brisent enfin ce cœur inflexible; [10] après avoir serré sa famille dans ses bras, il la congédie, et va camper à une plus grande distance de Rome; ensuite, il fit sortir les légions du territoire romain, et périt, dit-on, victime de la haine qu'il venait d'encourir. D'autres historiens rapportent sa mort d'une manière différente. Je lis dans Fabius, le plus ancien de tous, qu'il vécut jusqu'à un âge avancé; [11] du moins, il rapporte que souvent il répétait, à la fin de sa vie : « L'exil est bien plus pénible pour un vieillard. » Les Romains n'envièrent point aux femmes la gloire qu'elles venaient d'acquérir; tant l'on connaissait peu alors l'envie qui rabaisse le mérite d'autrui. [12] Pour perpétuer le souvenir de cet événement, un temple fut élevé, et on le consacra à la fortune des femmes. Ensuite les Volsques, secondés par les Èques, reparurent sur le territoire romain; mais les Èques ne voulurent pas obéir plus longtemps à Attius Tullius. [13] Alors, les deux peuples se disputèrent pour savoir qui, des Volsques ou des Èques, donnerait un général à l'armée confédérée; il s'ensuivit une sédition qui se termina par un sanglant combat. Dans cette lutte, aussi désastreuse qu'opiniâtre, la fortune du peuple romain détruisit les deux armées des ennemis. [14] L'année suivante, Titus Sicinius et Gaius Aquilius furent créés consuls. Sicinius fut chargé de combattre les Volsques; Aquilius, les Herniques, qui avaient pris aussi les armes. Cette année, les Herniques furent vaincus; dans la guerre contre les Volsques, les avantages furent balancés.