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Expression irritante, qui revient dans les propos quotidiens, comme pour mieux ponctuer de réalité l'inanité de notre regard. Nous ne tenons jamais tant au réel que dès lors qu'il s'enfuit ou nous échappe. Ce n'est qu'impéritie de langage, anodine, qui illustre, au mieux, la contagion des mots; au pire, la porosité de l'esprit.
Mais justement, pourquoi celle-ci, pourquoi cet en fait protubérant qui déchoit aux règles de la pensée? Serait-ce que subitement nous aurions oublié que la pensée, puisque langage, était combinatoire de concepts, de représentations et non de réalité? Serait-ce que désormais nous eussions à ce point confondu pensée et technique que, décidément, notre espace soit sournoisement grevé de ce pragmatisme empirique, si furieusement dogmatique que plus aucun recul, retrait ne soit désormais possible, que nous ne considérions plus dans la réalité que des faits de pensées, des objets mis à disposition de nos appétences ou représentations? Car il s'agit bien de cela: nous avons perdu le monde dans cette affaire! Nous ne parlerons jamais autant de lui que depuis qu'il s'est retiré. Oui, cet en fait, n'est autre que notre fait. Et le monde est en train de nous le dire, notre fait! Nous ne pouvons plus habiter le monde en poète, parce qu'il n'est plus de monde qui nous soit extérieur; ne subsistent plus que marchandises, gisements de plus-values, stocks où puiser. Sans doute avons-nous épuisé le monde sous la mégalomanie de nos appétences: nous avons pu longtemps croire qu'il fût pérenne! qu'il fût seulement nature. Son irruption, sous forme de menace, dans notre histoire, nous gêne et inquiète! A raison! Nous avons refoulé le fait, est-ce pour cela que nous l'invoquons dans cette explétion presque magique qui vise à conjurer le sort? C'est ceci même qui inquiète: que cette redondance marque à la fois le retrait de l'être et le délitement de la pensée!
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