Quelle est l’attitude du savant face au monde? Celle de
l’ingéniosité, de l’habileté. Il s’agit toujours pour lui de manipuler les
choses, de monter des dispositifs efficaces, d’inviter la nature à répondre
à ses questions. Galilée l’a résumé d’un mot: l’essayeur. Homme de
l’artifice, le savant est un activiste… Aussi évacue-t-il ce qui fait
l’opacité des choses, ce que Galilée appelait les qualités: simple résidu
pour lui, c’est pourtant le tissu même de notre présence au monde, c’est
également ce qui hante l’artiste. Car l’artiste n’est pas d’abord celui qui
s’exile du monde, celui qui se réfugie dans les palais abrités de
l’imaginaire. Qu’au contraire l’imaginaire soit comme la doublure du réel,
l’invisible, l’envers charnel du visible, et surgit la puissance de l’art:
pouvoir de révélation de ce qui se dérobe à nous sous la proximité de la
possession, pouvoir de restitution d’une vision naissante sur les choses et
nous-mêmes. L’artiste ne quitte pas les apparences, il veut leur rendre leur
densité… Si pour le savant le monde doit être
disponible, grâce à l’artiste il devient habitable. |