J'aime à me
promener dans Chartres. Nous ne savons plus nous promener; parfois nous
visitons les monuments, les musées ou les églises; mais errer, aller au
devant de soi, sans raison autre que le désir d’être, sans autre désir que
la raison e vivre est une tâche que nous avons désappris d’accomplir avec
innocence.
Ici, tout près de
la cathédrale qui aspire, au gré des cars et des trains tout ce que le
tourisme peut convoyer d’aveugle troupeau; ici, non loin d’un petit
bistrot qui fleure bon la province perdue; au coin d’un syndicat
d’initiative à l’édifice aussi laidement moderne que le nom qu’il porte …
une stèle.
Ici résidait l’abbé Siéyès.
J’aime ce
paradoxe de l’histoire, ironiquement ramassé en un espace aussi étroit: le
héraut du tiers-état bravant si intimement l’église de Marie!
Qui, cependant,
l’aura emporté de ce grand combat entre la tradition et la modernité?
Quand aujourd’hui tout s’écroule et s’effritent nos folles espérances, je
regarde la place et je vois, certes, une cathédrale qui protège
aimablement la ville de son ombre tutélaire; j’observe, certes, des
fouilles où notre siècle tente de retrouver ses marques; mais, de
l’ensemencement de notre modernité, si délicieusement révolutionnaire, si
impétueusement française, plus rien! juste cette stèle, fichée ici, faute
de mieux, faute de tout.
Un libelle, au
titre plus célèbre que le texte; la rémanence confuse des leçons de nos
maîtres de la communale. Monsieur l’abbé, que nous avez-vous laissé?
Même l’abbé,
pestant contre ses rentes médiocres, même l’homme que l’ambition rongeait
si admirablement, s’en fut, évanoui dans les limbes. Monsieur l’abbé, vous
me faites irrémédiablement songer à cet autre incantateur dont Chartres
célèbre la mémoire, malgré ses vers détestables et sa morgue rancunière,
pour son inspiration suspecte. Monsieur Péguy, je n’aime pas vous
retrouver ici: vous importunez mon rêve au moins autant que cette horde de
processionnaires, hagards, ivres de vanité qui hurlaient Christ, notre
roi! ce premier dimanche où je me surpris à détester ma ville.
Messieurs les ultras, vous souillez l’imaginaire d’une rage veule
qu’oblitère toute décence.
Siéyès, Péguy, intégristes:
quelle odieuse bigarrure pour un lieu d’ordinaire si quiet.
Ma promenade
aujourd’hui me surprend d’y colérer.
S’aérer, parfois
fait pénétrer d’intimes espaces insoupçonnés.
Il n’est pas vrai
que la promenade soit futile.