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Messieurs, j’ai achevé. Vous pourrez naturellement nous condamner. Je crois
que, même par votre arrêt, vous ne pourrez pas effacer notre œuvre. Je crois
que vous ne pourrez pas effacer notre œuvre. Je crois que vous ne pourrez
pas - le mot vous paraîtra peut être orgueilleux - nous chasser de
l’histoire de ce pays. Nous n’y mettons pas de présomption, mais nous y
apportons une certaine fierté : nous avons dans un temps bien périlleux,
personnifié et vivifié la tradition authentique de notre pays, qui est la
tradition démocratique et républicaine. De cette tradition, à travers
l’histoire, nous aurons malgré tout été un moment. Nous ne sommes pas je ne
sais quelle excroissance monstrueuse dans l’histoire de ce pays, parce que
nous avons été un gouvernement populaire ; nous sommes dans la tradition de
ce pays depuis la Révolution Française. Nous n’avons pas interrompu la
chaîne, nous ne l’avons pas brisée, nous l’avons renouée et nous l’avons
resserrée. Naturellement, il est facile quand on dispose de tous les moyens
qui agissent sur l’opinion de défigurer notre œuvre, comme on peut défigurer
notre personne ; notre visage. Mais la réalité est là et elle se fera jour.
La durée de l’effort humain ne commande pas le rendement d’un appareil
industriel , le loisir n’est la paresse ; la liberté et la justice n’ont pas
fait de la patrie une proie désarmée ; avec les ilotes on ne fait pas plus
des ouvriers que des soldats. Qu’il s’agisse de manier l’outil ou de manier
l’arme, ce sont la liberté et la justice qui engendrent les grandes vertus
viriles, la confiance, l’enthousiasme et le courage. Quand on nous dit :
« Vous avez eu tort, il fallait agir autrement » on nous dit nécessairement,
forcément, « il fallait briser et trahir la volonté exprimée par le peuple »
. Nous ne l’avons ni trahie, ni brisée par la force, nous y avons été
fidèles. Et Messieurs, par une ironie bien cruelle, c’est cette fidélité qui
est devenue une trahison. Pourtant cette fidélité n’est pas épuisée, elle
dure encore et la France en recueillera le bienfait dans l’avenir nous
plaçons notre espérance et que ce procès, ce procès dirigé contre la
République, contribuera à préparer. " |