La peur & le père

Remonter L'occupation Blum au procès de Riom De la peur Radicalisme ou ralliement ? philosophie institutionnelle? BADIOU &  Frédéric Taddéï

On a les guerres qu'on mérite. Dans ce monde transi par la peur, les gros bandits bombardent sans pitié des pays exsangues. Les bandits intermédiaires pratiquent l'assassinat ciblé de ceux qui les gênent. Les tout petits bandits font des lois contre les foulards

A Badiou

 

De qui Sarkozy est-il le nom ?

C'est le titre d'un ouvrage récemment paru d'A Badiou où, à sa façon, il mène une analyse sémiologique de ce que représente Sarkozy. (voir vidéo)

Il a nom

bullet

d'une société qui a peur

bullet

d'un appel à la protection

bullet

du ralliement à la guerre

bullet

du ralliement à une politique d'oppression des plus faibles

Autre façon de dire qu'il serait la forme moderne du pétainisme en tant que politique de la peur.

C'est ce que nous avons déjà repéré : et sur fond de quoi Sarkozy peut jouer à la fois de la thématique de la rupture et de celle de la réaction la plus brutale.

Il n'en reste pas moins que Sarkozy représente en même temps une véritable gageure politique et un véritable paradoxe logique :

bullet

c'est avec les oripeaux de la modernité, dans ce qu'elle peut avoir de  plus ostentatoire, vulgaire, qu'il en appelle aux racines - notamment chrétiennes - de la France.

bullet

c'est avec l'activisme d'un  volontarisme hyperactif  qui ressemble à s'y méprendre à l'impatiente naïveté de l'adolescent qu'il tente de jouer le père protecteur, le sage, l'ancien.

Si rupture, il y a, elle résiderait peut-être en ceci qu'elle s'incarnerait, non plus tant dans le sage, vétéran, perclus d'expérience, mais dans ce baby-boomer, bientôt vieillissant, mais refusant de vieillir. De ce point de vue, il épouse son temps, et c'est bien tout le paradoxe de son rapport à 68. De la même manière que 68 fut, aussi, l'effet de l'arrivée des baby-boomers, de la même manière, l'actuelle réaction frileuse n'est-elle peut-être que la forme que prend l'angoisse de ces mêmes baby-boomers bientôt sénescents. Il serait évidemment absurde de réduire 68, ainsi que le présent, à cette seule réalité démographique - en forme de déséquilibre : il importe juste de ne pas l'oublier parce qu'elle est une des dimensions de ce revirement.

Comment oublier que 1939 fut,  aussi, la réaction d'une France vieillie, qui ne s'est pas remise de 1914? que la stratégie même de repli derrière le faux semblant de la ligne Maginot révélait un repli frileux sur soi d'un pays trop épuisé pour savoir encore comprendre et affronter les mutations en cours.

Relents pétainistes

En 40, la France se donne à un vieillard supposé la protéger en même temps que la punir:

La révolution Nationale c'est aussi cela:

bullet

fustiger l'esprit de jouissance

bullet

en appeler à l'obéissance et à l'effort

C'est, de manière finalement très prêchi-prêcha, réinterpréter la défaite comme la punition légitime d'une faute, celle d'avoir cru au politique comme un vecteur de progrès social. La faute tient entière dans le Front Populaire - ce que le procès de Riom illustrera. La punition c'est la défaite, l'humiliation de se soumettre à l'ennemi tout juste protégé par le patriarche supposé préserver l'essentiel.

C'est,  l'anticommunisme notamment qui conduisit Vichy à la politique de collaboration, mais celle-ci n'impliquait pas la révolution nationale.

Badiou a raison en définissant le pétainisme comme une politique de la peur : cette peur qui fera toujours préférer l'ordre à la liberté, qui, surtout, reste toujours enclin à se soumettre à n'importe quel ordre extérieur pour peu que l'ordre intérieur reste préservé -apparemment ou non !

Ce qui sépare traditionnellement la droite de la gauche,  c'est la priorité faite par la première à l'ordre; par la seconde à la liberté, une fois posé que ces deux termes entrent fréquemment en opposition. Mais si ce privilège accordé à l'un ou l'autre des termes reste dans les limites de la république quand il s'agit des droite et gauche traditionnelles, dès lors qu'il s'agit de l'extrême droite on observe que c'est bien à l'abandon de la liberté qu'elle préconise ou à sa destruction qu'elle préside sitôt qu'elle est au pouvoir .

Travail, famille, patrie

La devine est évidente. Renoncer à la jouissance, et redécouvrir le sens de l'effort ceci signifie en réalité se donner tout entier à la France, soit par le fruit de son travail, soit par les enfants qu'on lui donnera tant il est vrai que c'est le manque d'enfants, la crise de la famille où Pétain vit les causes principales de la défaite. . On remarquera ainsi que le salut que propose Pétain est collectif, assurément pas individuel : c'est en se donnant à la France, en s'appuyant sur son passé qu'elle peut encore avoir un avenir. (voir vidéo) . Le fascisme c'est cela aussi: ce primat de la nation sur l'individu, d'où provient tout le mal !

 

Peur de la décadence

Ce que traduit la référence à une politique de civilisation autant qu'aux racines chrétiennes de la France, on l'a vu, c'est la crainte de la décadence, la certitude où l'on se voit d'un passé glorieux et d'un avenir si ce n'est catastrophique en tout cas difficile.

C'est renoncer à ce que politique veut dire que de se soumettre, se résigner : c'est en ceci que le pétainisme s'il est politique de la peur est en même temps peur de la politique. Et c'est, encore une fois, toute la contradiction, mais sans doute plutôt le dilemme, dans quoi Sarkozy se trouve enfermé. La volonté affichée de restaurer le politique par le volontarisme s'oppose tellement avec le souci d'épouser les règles et les conflits de la société mondialisée qu'en réalité elle achoppe à chaque fois qu'elle rencontre autre chose que le monde de la jet-set ou des patrons.

On a raison de noter que l'américanisme sarkozyste qui est d'ailleurs plus un ralliement au manichéisme de Busch, signifie précisément le renoncement à changer la société, le renoncement à la rupture pour épouser les rapports de force que la mondialisation impose. Sa rupture est en réalité un ralliement aux puissants du moment au même titre que le pétainisme était le ralliement militairement subi mais idéologiquement souhaité au fascisme.

La peur produit toujours le repliement sur soi, et la soumission à l'autre : il n'est pas faux que ceci se traduit par une violence très forte à l'égard de tous les exclus, que l'on exclut plus encore ou précarise en tout cas. 

Discours de Pétain, radiodiffusé le 17 juin 1940.

     "Français !

     A l'appel de Monsieur le Président de la République, j'assume à partir d'aujourd'hui la direction du gouvernement de la France. Sûr de l'affection de notre admirable armée qui lutte, avec un héroïsme digne de ses longues traditions militaires, contre un ennemi supérieur en nombre et en armes. Sûr que par sa magnifique résistance, elle a rempli nos devoirs vis-à-vis de nos alliés. Sûr de l'appui des Anciens Combattants que j'ai eu la fierté de commander, sûr de la confiance du peuple tout entier, je fais à la France le don de ma personne pour atténuer son malheur.

     En ces heures douloureuses, je pense aux malheureux réfugiés qui, dans un dénuement extrême, sillonnent nos routes. Je leur exprime ma compassion et ma sollicitude. C'est le cœur serré que je vous dis aujourd'hui qu'il faut cesser le combat. Je me suis adressé cette nuit à l'adversaire pour lui demander s'il est prêt a rechercher avec nous, entre soldats, après la lutte et dans l'Honneur, les moyens de mettre un terme aux hostilités. Que tous les Français se groupent autour du Gouvernement que je préside pendant ces dures épreuves et fassent taire leur angoisse pour n'écouter que leur foi dans le destin de la Patrie."

 

L'appel aux Français du Maréchal Pétain - 17 juin 1940

 

Français! J'ai demandé à nos adversaires de mettre fin aux hostilités. Le gouvernement a désigné mercredi les plénipotentiaires chargé de recueillir leurs conditions.

J'ai pris cette décision, dure au cœur d'un soldat, parce que la situation militaire l'imposait. Nous espérions résister sur la ligne de la Somme et de l'Aisne. Le général Weygand avait regroupé nos forces. Son seul nom présageait la victoire. Pourtant la ligne a cédé et la pression ennemie a contraint nos forces à la retraite.

Dès le 13 juin, la demande d'armistice était inévitable. Cet échec vous a surpris. Vous souvenant de 1914 et de 1918, vous en cherchez les raisons. Je vais vous les dire.

 

Le Maréchal Pétain avec le Premier Ministre Laval

Le 1er mai 1917, nous avions encore 3 280 000 hommes aux armées, malgré trois ans de combats meurtriers. A la veille de la bataille actuelle, nous en avions 500 000 de moins. En mai 1918, nous avions 85 divisions britanniques: en mai 1940, il n'y en avait que 10. En 1918, nous avions avec nous les 58 divisions italiennes et les 42 divisions américaines.

L'infériorité de notre matériel a été plus grande encore que celles de nos effectifs. L'aviation française a livré à un contre six ses combats. Moins forts qu'il y a vingt-deux ans, nous avions aussi moins d'amis. Trop peu d'enfants, trop peu d'armes, trop peu d'alliés: voilà notre défaite.

Le Peuple français ne conteste pas ses échecs. Tous les peuples ont connu tour à tour des succès et des revers. C'est par la manière dont ils réagissent qu'ils se montrent faibles ou grands.

 

Le Maréchal Pétain rencontre Hitler à Montoire.

Nous tirerons la leçon des batailles perdues. Depuis la victoire, l'esprit de jouissance l'a emporté sur l'esprit de sacrifice. On a revendiqué plus qu'on a servi. On a voulu épargner l'effort: on rencontre aujourd'hui le malheur. J'ai été avec vous dans les jours glorieux. Chef du gouvernement, je suis et resterai avec vous dans les jours sombres. Soyez à mes côtés. Le combat reste le même. Il s'agit de la France, de son sol, de ses fils.

 

 

 

voir la vidéo propagande de Vichy

1) Révélateur que Rousseau, s'il vit combien l'idée même d'ordre était contradictoire avec celle de liberté,  plaça toujours cette dernière au fondement de tout projet politique au point d'envisager le devoir de révolte sitôt que la loi cesserait d'exprimer la volonté générale. 

on trouvera sur rue 89 trois vidéos d'A Badiou.