Sauvons les IUT

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L'IUT manifeste

 


Sauvons les IUT - IUT Paris Descartes manifeste
envoyé par pmsimonin

Les I.U.T. sont inquiets, on le sait : un des effets de la LRU, qui n’apparaît clairement qu’aujourd’hui, c’est la fin du fléchage des moyens, et donc de l’autonomie des I.U.T. A la clé, la remise en question du caractère national du DUT et sans doute la difficulté de plus en plus grande pour eux de remplir leur mission sociale et la réussite universitaire qu’ils auront accomplies en quarante ans, un peu à part c’est vrai, mais avec une culture et une démarche qui leur permet aujourd’hui encore de demeurer des têtes de pont en matière de professionnalisation.
Hier 2 décembre, dans le cadre de la journée nationale d’action suscitée par l’ADIUT, AG des étudiants et des personnels puis participation à la manifestation devant France Télévisions.

 

Comme toujours dans de tels cas, sérieux et pétulance mêlés qui font le sel de tels moments

Grève

Curieusement, le mot renvoie à la fois à la plage et au labeur, mais dans les deux cas, à la vacuité. La grève, en réalité est une limite comme la plage la ligne extrême que la terre finissante concède aux flots. Ici, sur cette place, on venait chercher du travail et, derechef, la grève signale une limite : la forme extrême de la précarité. La grève est une antithèse, le négatif photographique de l'ordre: ce qui nous fait brusquement basculer dans un autre monde et qui bouscule. On a peine à imaginer grève sage et ordonnée même si c'est ici le rêve de tous les bien-pensants! Elle est, sans doute, la pointe avancée de l'ordre dans le désordre, la concession que l'institution néglige aux exclus. Mais parce qu'elle est cette ligne, imaginaire au moins autant que virtuelle, la grève fonctionne en même temps comme un exutoire, permettant à l'ordre d'être supportable. Sans doute peut-on écrire de la grève ce que Caillois écrivait à propos de la fête : ce moment où le profane frôle le sacré ! C'est bien pour cela qu'il ne faut jamais la prendre à la légère puisqu'elle réinvente, souvent dans la douleur, quelque chose du rêve et de la rencontre, cette part de socialité mythique où la rencontre de l'autre redevient possible, cette nostalgie des anges où l'illusion est si suave d'enfin pouvoir agir sur le réel.

Car la grève, c'est ceci aussi : l'illusion sinon du pouvoir en tout cas de l'action. Le point de jointure entre sacré et profane se trouve ici: dans l'ordre ordinaire du quotidien domine surtout le sentiment d'impuissance et la certitude que finalement nous sommes trop isolés pour parvenir jamais à influer sur le cours ordinaire des choses. L'instant de la grève c'est au contraire le sentiment de reprendre son destin en main et de pouvoir sinon rompre du moins distordre la chaîne des déterminismes. 

Mais dira-t-on, la grève est un rapport de forces, la tension désormais visible entre protagonistes que tout oppose ! Mais n'était-ce pas déjà le cas de ces journaliers quémandant, plutôt que l'obole, la grâce du labeur, la chance d'être libre, l'honneur d'être un homme. Même chantage, même déséquilibre entre les protagonistes où le premier s'insurge précisément de n'avoir aucune carte en main que monopolise l'autre. L'insurrection est précisément la conséquence de ce déséquilibre-ci: faute de pouvoir négocier, échanger, il ne reste plus au journalier que d'attendre ou se révolter. Condamné à l'extrême ou à la disparition, au brouhaha de la foule ou au silence du renoncement !

Au même titre que la révolution, la grève signe cet instant prodigieusement dangereux des fondations : n'oublions pas, et ceci est vrai des institutions tant  politiques que sociales, combien notre système est représentatif, et ne parvient en conséquence à fonctionner qu'autant que le représenté soit symbolisé par son mandataire, qu'autant que ce mandant soit absent ! La grève, qui est la forme extrême du débat, voit surgir le mandant, qui bouscule les codes et impose sa volonté - ou le tente ! Et l'on voudrait que ceci se passe bien ! Serions-nous désormais à ce point aseptisés par la partouze communicationnelle que nous ne supportions plus aucune autre violence que celle représentée dans la série B dont  TF1 nous abreuve ? aurions-nous oublié que le politique ne parvient jamais à l'abolition de la violence mais suscite seulement sa canalisation qu'il manque, d'ailleurs, à chaque moment de rater; qu'il rate chaque fois que la contrainte qu'il exerce est plus forte que la sécurité qu'il prodigue, que la transaction se fait trop évidemment à la défaveur du contractant !

Certes, la grève est un point limite - encadrée par le droit, mais hors des circuits politiques institutionnels - et c'est pour cela qu'elle est à la fois précieuse et fragile. Telle que conçue en son temps par un Aristide Briand, qui l'oublia vite, la grève générale devait être l'arme suprême contre la société capitaliste et le moment fort de la révolution. Bien vite elle devint un moment de contestation, une arme, parmi d'autres de la lutte sociale: la grève a vite disparu du terrain politique.

Jaurès paya de sa vie l'impossible grève contre la guerre et, de loin en loin, les grèves épisodiques ne furent plus là que pour symboliser un rapport de force, à peine pour marquer un territoire.

C'est bien ici, dans cet entrelacs que se joue l'actualité: réel et représentation s'entrecroisent à s'y méprendre. Ce que nous venons de vivre, ce que les médias ne supportent pas pour le fustiger ainsi dans ces interminables et incantatoires récriminations, c'est précisément le retour du refoulé.

Or ce refoulé a une forme: celle du réel. Il a un nom : classe ouvrière, le peuple ou … comme on dit aujourd’hui dans le sabir politiquement correct les gens !

Manifestation

Comme il est difficile décidément de quitter vraiment la terre religieuse ! Manifestation est d’abord synonyme de révélation : la connaissance que dieu offre de lui-même ! Elle est ce qui rend visible, palpable, saisissable. Est-ce à cause de cela que ne m’étonnent pas, et même me ravissent la pétulance, la joie et même l’enthousiasme de nos étudiants ? Dans cet enthousiasme il y a sans doute quelque chose de l’ingénuité et de l’impétuosité juvéniles ; j’y veux voir plutôt ce transport exalté qui vous saisit chaque fois que l’on s’imagine approcher de l’essentiel, de la racine qui justement se dévoile !

C'est pour cela, derechef, que Caillois a raison: il n'est pas de fête sans excès ni bombance et j'aime à croire que la fraternité de fête et de manifeste reste tout sauf un hasard ! J’aime, je l’avoue, cette part d’ombre où nos étudiants, se dénudant, sous la défroque compassée, et parfois complaisante de leur statut d’apprenant, en filigrane de ce que Sartre nommait si justement mauvaise foi, donnent à voir enfin ce qu’il y a là-dessous de vie, de désirs ; cette grande vertu qu’est la joie ! Oui ! Spinoza a raison d’entendre la joie comme le passage d’un état de perfection à un autre plus grand encore, parce qu’elle est d’abord ce qui sourde du désir ! J’aime oui voir éclater ce que nous, enseignants sentons mais ne savons pas toujours reconnaître chez nos étudiants : ce talent, cette verve, cette vie, tout simplement qui vaut mieux assurément que nos sempiternelles acrimonies sur cette jeunesse qui ne serait plus ce qu’elle était …Oui, à leur façon, ils ont bien du talent ! Et je ne déteste pas qu’hier, ils purent ainsi bousculer les trop raisonnables prudences, scrupules et tergiversations de nos enseignants !