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PAR M. C. FRONTON
Il m'est venu à
l'esprit d'écrire l'éloge de la négligence ; et la raison pour laquelle je
ne l'ai pas encore fait, c'est ce que je néglige aussi de dire *** Car ceux
qui remplissent leur tâche avec trop d'anxiété montrent peu de confiance
dans l'amitié *** L'indulgence louée même par le vulgaire consiste à
pardonner promptement les péchés des hommes ; si vous ne négligez pas
facilement les fautes, vous n'êtes pas véritablement indulgent. Que si
quelqu'un pense que la négligence n'est pas en sûreté, qu'elle est exposée
aux périls, je dirai moi que la diligence offre bien moins de sûreté, et est
bien plus exposée. En effet on ne se donne pas beaucoup de peine pour
dresser des embûches à la négligence, parce qu'on sait que, même sans
embûches, on peut en tout temps, en tout lieu, quand il plaît, tromper
l'homme négligent ; c'est contre les hommes diligents, circonspects et
puissants qu'on est enclin à préparer des fraudes, des surprises et des
embûches. Ainsi la négligence est protégée par le mépris, et la diligence
assaillie par la ruse. On est aussi plus disposé à pardonner des fautes à la
négligence, comme à lui savoir plus de gré du bien qu'elle fait ; car rien
ne surprend plus agréablement que de voir qu'un homme qui n'a souci de rien
n'a pas négligé de bien faire dans l'occasion. Reporte-toi à ce siècle d'or
si vanté par les poètes, tu trouveras que c'était le siècle de la
négligence, puisqu'alors la terre négligée produisait des fruits en
abondance, et fournissait, sans exiger aucun travail, toutes les choses
nécessaires à la vie de ceux qui la négligeaient. De tout cela il résulte
que la négligence sort d'une bonne race, plaît aux dieux, ne déplait point
aux sages, qu'elle participe des vertus, enseigne l'indulgence, est à l'abri
des embûches, qu'on lui tient compte du bien qu'elle fait, qu'on excuse ses
fautes, et qu'enfin elle est déclarée d'or *** Une femme qui se fie à sa
beauté néglige volontiers sa peau et ses cheveux ; pour celles qui s'en
défient, le soin extrême de leur parure leur fait trouver du charme à la
diligence. Le myrte, le buis et les autres arbrisseaux et arbustes soumis
aux ciseaux, qui sont tondus, arrosés, dressés avec la plus grande diligence
et le plus grand soin, rampent à terre ou n'élèvent pas beaucoup leurs tiges
au-dessus du sol, tandis que ces chênes qu'on ne tond jamais, les pins qu'on
néglige, cachent leurs têtes ambitieuses dans les nues. Les lions ne sont
pas aussi diligents que la fourmi à chercher leur nourriture et à faire des
provisions, et les araignées sont plus diligentes à faire leur tissu que pas
une Pénélope ou une Andromaque ; et tout-à-fait aux minces génies ***
Combien grande, je le prie, était la part de Lucullana ***
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