Adoption de l’ " amendement Wallon " par l’Assemblée nationale
Assemblés nationale - Séance du 30 janvier. 1875
(Journal officiel du 31 janvier 1875, page 827)
Suite de la 2ème délibération sur les projets de fois relatifs à
l'organisation des pouvoirs publics (extraits)
M. Henri Wallon. Cela dit, je viens à l'objet de mon amendement.
Loin d'ébranler la loi du 20 novembre 1873, mon amendement a, au contraire,
pour but de la compléter et de l'affermir.
Qu'a voulu la loi du 20 novembre ? Elle a voulu donner la stabilité au
pouvoir, et la sécurité au pays.
La sécurité du pays !... Cette sécurité sera complète, sans 'doute, tant que
le pays aura à sa tête le loyal et vaillant maréchal duc de Magenta...
(Légères rumeurs sur quelques bancs à gauche),; mais pour que cette sécurité
dure, il ne faut pas dire que le régime que vous avez établi ne durera que
sept ans, comme l'a dit la commission. Sept ans de sécurité pour le pays,
c'est beaucoup sans doute ; mais quand vous dites que cela ne durera que
sept ans, il semble que ce ne soit plus rien ; quand vous marquez un terme,
il semble qu'on y touche. (Approbation à gauche).
M. le marquis de Franclieu. C'est pour cela que la royauté est indispensable
!
M. le général baron de Chabaud La Tour, ministre de l'intérieur. Alors,
c'est la République définitive que vous voulez ! Dites-le franchement !
M. Henri Wallon. Dire que le provisoire durera sept ans, ce n'est pas faire
cesser le malaise, c'est le faire durer. (Nouvelle approbation à gauche.)
M. le ministre de l'intérieur. M. Laboulaye nous a dit tout cela précisément
en développant son amendement.
M. Henri Wallon. Je ne parle pas de la trêve des partis, qu'on s'était
proposée aussi par la loi du 20 novembre ; l'honorable M. de Carayon La Tour
et l'honorable M. Laboulaye vous ont dit suffisamment ce que c'était. C'est
une lutte. J'ajoute que c'est une lutte dans laquelle le parti conservateur,
s'il continuait de rester dans la position qu'il a prise, serait
infailliblement vaincu. (Approbation sur divers bancs.)
Ici, messieurs, j'appellerai particulièrement l'attention de ce grand parti
avec lequel, quoique n'appartenant précisé ment à aucun groupe - et c'est
peut-être une faute-, je suis cependant heureux de voter le plus habituelle
ment ; je veux parler du parti conservateur.
Le projet de la commission, c'est l'organisation du provisoire ; eh bien, le
pays est las du provisoire. (Très bien ! très bien ! à gauche.)
M. le ministre de l'intérieur. Si vous voulez voter la République
définitive, dites-le !
M. de Staplande. Dites ce qu'a dit M. Laboulaye !
M. Henri Wallon. Cela était affirmé par tous les journaux conservateurs au
mois d'octobre de l'année dernière. Le langage a pu changer, mais le fait
reste le même. C'est un cri général, et le parti conservateur en sera rendu
responsable. Dès à présent, cela est visible par les élections. Qu'est-ce
qui triomphe dans les élections ? La République ou l'Empire ? SI le
provisoire est maintenu jusqu'en 1880, on n'en sortira que par une de ces
deux issues, la République faite sans vous et contre vous... (interruptions
sur plusieurs bancs à droite.)
M. le président. Veuillez permettre à l'orateur d'exprimer sa pensée.
M. Henri Wallon... la République faite sans vous et contre vous ou l'empire,
c'est-à-dire la ruine de vos espérances, et j'ajoute la ruine du pays. (Très
bien ! très bien ! à droite.) Car l'empire, on vous l'a dit éloquemment
hier, et on n'y a pas répondu, l'empire c'est la guerre... (Mouvement sur
plusieurs bancs à droite.)
M. Galloni d'Istria. C'est la guerre aux républicains (Rires sur plusieurs
bancs à droite.)
M. Henri Wallon. Oui ! l'empire, c'est la guerre. Le premier empire est né
de la guerre, a vécu par la guerre, et est tombé par la guerre. Il est né,
il a vécu et il est tombé glorieusement.
Le second empire avait dit : L’empire, c'est la paix ! Mais comme Il ne
s'était établi qu'en violant son serment, Il n'a pas tenu davantage sa
parole. (Très bien ! Bravos à gauche.) Il a troublé l'Europe pour faire
diversion aux questions intérieures ; il a maudit les traités de 1815 et il
est arrivé à faire établir autour de nous des frontières tout autrement
menaçantes. (Approbation à gauche.) Il est tombé par la guerre et je ne veux
pas rappeler dans quels désastres.
Quant au troisième empire, s'Il y avait un troisième empire, il se
présenterait assurément avec un langage tout pacifique et, j'ajoute, avec
des intentions pacifiques ; mais Il ne serait pas plutôt établi qu'il
verrait se dresser devant lui l'opposition qui lui crierait : Qu'as-tu fait
de l'Alsace et de la Lorraine ? (Bravos à gauche.) Devant ce spectre de nos
provinces mutilées et pour échapper à ce cri vengeur, il se jetterait
follement dans la revanche, et il consommerait la ruine de la France. (Très
bien ! très bien ! à gauche.)
Je n'ai parlé qu'au point de vue. de l'intérêt du parti conservateur, mais
il y a une considération plus haute, c'est l'intérêt de la France même qui
veut savoir sous quel régime elle doit vivre ; c'est notre intérêt aussi
comme représentation nationale.
Nous sommes des constituants, nous avons promis de ne point nous séparer
sans donner une constitution à la France. Quel est le propre d'une
constitution ? C'est, que plus on avance, plus la confiance s'accroît par le
fait même de sa durée. Ici, au contraire, à mesure même qu'on avancerait, la
confiance irait diminuant, car à mesure qu'on avancerait on approcherait du
terme où tout serait remis en question, où les pouvoirs du Président de la
République cesseraient, et où on ne saurait ce que deviendrait la
Constitution de la France. (Assentiment à gauche.) Il faut donc sortir du
provisoire. Mais comment ?
Je ne connais, messieurs, que trois formes de gouvernement : la monarchie,
la république, l'empire. L'empire, personne n'a osé vous proposer de le
voter. La monarchie ! nous avons entendu, à part des personnalités
regrettables, les. nobles et dignes paroles de l'honorable M. de Carayon La
Tour exposant, avec une forte et vive, éloquence, les grands titres de la
monarchie dans le passé, et ceux qu'elle pourrait avoir encore dans
l'avenir. Je n'y contredis point ; mais, je le demande, la monarchie
est-elle possible ?
Voix à droite. Pourquoi pas ?
Plusieurs membres à gauche. Proposez-là donc !
M. le président. Veuillez ne pas interrompre, monsieur de Lorgeril ; vous
aurez la parole sur votre amendement.
M. Henri Wallon. Je n'en veux pas juger par moi-même, mais j'en juge par
l'opinion de ceux qu'on peut regarder comme les plus fidèles et les plus
dévoués défenseurs de la monarchie.
Si la monarchie était possible en novembre 1873, pourquoi l'honorable M.
Lucien Brun et ses amis ont-ils voté la loi du 20 novembre ?
Si la monarchie est possible aujourd'hui pourquoi l'honorable M. de Carayon
La Tour a-t-il demandé qu'on ne passait point à une deuxième délibération
sur la loi que nous discutons aujourd'hui ? C'était le moment, au contraire,
de venir proposer la monarchie, d'exposer son programme et de voir si
l'Assemblée était en disposition de l'accepter. (Très-bien ! très-bien ! à
gauche.)
Le vote de la loi du 20 novembre 1873 par les royalistes est la preuve
qu'ils ne croyaient pas la monarchie possible de longtemps.
Si l'on pensait qu'elle sera plus possible à l'échéance du 20 novembre 1880,
je dis que c'est une erreur profonde. Ceux-là seuls seront prêts alors qui
sont prêts aujourd'hui, et leurs chances seront accrues de toutes celles que
vous aurez perdues en vous obstinant à maintenir le pays dans le provisoire.
(Marques d'approbation à gauche.)
Mais, dira-t-on, vous proclamez donc la république ?
Messieurs, je ne proclame rien... (Exclamations et rires à droite) , je ne
proclame rien, je prends ce qui est. (Très bien ! très bien ! sur plusieurs
bancs à gauche.) J'appelle les choses par leur nom ; je les prends sous le
nom que vous avez accepté, que vous acceptez encore... (Très bien ! à
gauche. - Rumeurs à droite), et je veux faire que ce Gouvernement qui est,
dure tant que vous ne trouverez pas quelque chose de mieux à faire.
Mais, dira-t-on, vous n'en faites pas moins la république !
A cela je réponds tout simplement : Si la république ne convient pas à la
France, la plus sûre manière d'en finir avec elle, c'est de la faire.
(Exclamations et rires ironiques à droite.)
A l'heure qu'il est, la république prend pour elle toutes les bonnes valeurs
; et s'il y a quelque mauvais billet, c'est le parti monarchique qui
l'endosse. Si l'emprunt réussit d'une manière el prodigieuse, c'est que nous
Sommes en République. (Dénégations sur plusieurs bancs à droite.)
M. Pouy-Querder. C'est parce que vous êtes la France !
M. Henri Wallon. Si le territoire est libéré avant le temps qui était
marqué, c'est que nous sommes en République. (Nouvelles dénégations sur les
mêmes bancs)
M. Henri Wallon. Messieurs, vous - n'avez pas l’air de comprendre ma pensée.
Veuillez suivre mon raisonnement, et j'espère que vous en saisirez la
signification. (Parlez parlez ! à gauche.)
Si les catholiques persécutés sont recueillis en France, c'est que nous
sommes en République. (Rumeurs et Interruptions à droite.)
M. le président L'orateur est interrompu à chaque mot sans pouvoir même
faire comprendre sa pensée. Il faut que ces interruptions cessent (Très bien
! très bien !)
M. Henri Wagon. Au contraire, s'il y a des inquiétudes dans les esprits,
s'il y a stagnation dans les affaires, c'est que nous ne sommes pas en
République.
Eh bien, je demande que la République ait la responsabilité complète de ce
qui arrive. (Mouvements divers.)
Un membre à gauche. Et les avantages !
M. Henri Wallon. je lui souhaite les meilleures chances, et je suis décidé à
faire qu'elle les ait les meilleures possible. (Très bien ! très bien ! à
gauche.)
Je crois, messieurs, que c'est là le devoir de tout bon citoyen. (Vive
approbation à gauche.)
Dans la situation où est la France, il faut que nous sacrifiions nos
préférences, nos théories. Nous n'avons pas le choix. Nous trouvons une
forme de Gouvernement, il faut la prendre telle qu'elle est ; il faut la
faire durer. Je dis que c'est le devoir de tout bon citoyen. J'ajoute, au
risque d'avoir l'air de soutenir un paradoxe, que c'est l'intérêt même du
parti monarchique.
En effet ou la République s'affermira avec votre concours et donnera à la
France le moyen de se relever et de recouvrer sa prospérité, de reprendre sa
place dans le monde, et alors vous ne pourrez que vous réjouir du bien
auquel vous aurez contribué. (Très bien ! à gauche) ; ou bien votre concours
même sera insuffisant ; on trouvera qu'il n'y a pas assez de stabilité dans
le pouvoir, que les affaires ne reprennent pas, et alors, après une épreuve
loyale (Murmures à droite), le pays reconnaissant des sacrifices d'opinion
que vous aurez fait, du concours que vous aurez apporté à la chose publique,
sera plus disposé à suivre vos idées, et ce jour là vous trouverez le
concours de ceux qui, aujourd'hui, ont une autre opinion, mais qui, éclairés
par l'expérience et voulant comme nous, avant tout, le bien du pays, vous
aideront à faire ce que le pays réclame. (Très bien ! très bien ! à gauche.
Rumeurs à droite.)
Ma conclusion, messieurs, c'est qu'il faut sortir du provisoire. Si la
monarchie est possible, si vous pouvez montrer qu'elle est acceptable,
proposez-la. (Très bien ! à gauche.)
M. Cézanne. Avec son drapeau.
M. Henri Wallon. Mais il ne dépend pas malheureusement de vous, !cl
présents, de la rendre acceptable.
Que si, au contraire, elle ne paraît pas possible, eh bien, je ne vous dit
pas : Proclamez la république 1... mais je vous dis : Constituez le
gouvernement qui se trouve maintenant établi et qui est le gouvernement de
la république. (Rires ironiques sur divers bancs à droite.)
Un membre à droite. C'est le septennat !
M. Henri Wallon. Je ne vous demande pas de le déclarer définitif. Qu'est-ce
qui est définitif ? Mais ne le déclarez pas non plus provisoire. Faites Un
Gouvernement qui ait en lui les moyens de vivre et de se continuer, qui ait
aussi en lui les moyens de se transformer, si le besoin du pays le demande,
de se transformer, non pas à une date fixe comme le 20 novembre 1880, mais
alors que le besoin du pays le demandera, ni plus tôt ni plus tard. (Très
bien ! très bien ! à gauche.)
Voilà, messieurs, quel était l'objet de mon amendement.
M. le président. Je donne de nouveau lecture de l'amendement de M. Wallon,
avec la modification que M. Wallon y a apportée et qu'il a indiquée à la
tribune :
« Le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages
par le Sénat et par la Chambre des députés, réunis en Assemblée nationale.
Il est nommé pour sept ans. Il est rééligible. »
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin, vérifié par
MM. les secrétaires :
Nombre des votants 705
Majorité absolue 353
Pour l'adoption 353
Contre 352
L'Assemblée nationale a adopté. (Mouvements.)