Négocier (suite)

Négocier c’est marchander

Dans l’idée de négociation il y aura toujours quelque chose de la démarche commerciale, pour être sobre, ou du marchand de tapis, pour l’être moins !

Négocier, c’est entrer dans la recherche du compromis, de l’échange. Je te donne ceci contre cela ! C'est-à-dire dans la zone grise où tout s’équivaut, comme s’il était un équivalent général ! Or, il en est un : la monnaie !

Nous y voilà : tout désormais va se monnayer ! Oh ! loin de moi l’idée de fustiger l’argent avec ce gourmand air de dégoût que savent prendre les puritains de l’abnégation professionnelle ! Il n’est, après tout, lui non plus, qu’un intermédiaire ! Une grenouille, finalement qui, parfois éclate, mais toujours se veut aussi grosse que le bœuf !

Il faut bien une aune et puisque, décidément, l’homme n’est plus la mesure de toute chose, pourquoi pas celle-ci ? On eût pu au moins espérer que ceci signât la victoire des mathématiciens ! Le livre de la vie n’est-il pas inscrit en symboles mathématiques ? Las ! Ce n’aura été que celle des gribouilles et des scribouilles !

 Non, le problème n’est pas là ! Il est double :

Négocier, avant tout c’est perdre !

C’est nécessairement renoncer à ceci pour préserver cela qu’on aura estimé plus important ! La négociation relève toujours de la crise, c'est-à-dire du passage ! Faute de mieux, préservons au moins l’essentiel ! C’est accepter d’emblée des contraintes hétéronomes ! Fautes de grives, il en sera toujours pour vous vanter l’alouette !

Or ce que l’on va négocier là, demain, n’est pas anodin : ce sont les conditions mêmes de notre métier ! C’en sont mêmes les principes ! Outre qu’il y aura toujours quelque réel désagrément à devoir encourir l’indéniable précarité que supposent ces négociations sans cesse réitérées ; qu’il y a une évidente désobligeance à devoir se mettre en position humiliante de sempiternel quémandeur, ce que nous allons devoir négocier c’est la légitimité de nos activités de chercheur et/ou d’enseignant ! C’est la place de notre métier dans la cité ! C’est notre observance, plus ou moins dilatoire, des normes de performance et de rentabilité !

Dès lors s’entrechoquent, inéluctablement le temps court du politique, de l’efficacité, du négociateur, et le temps long des sciences, de la recherche mais aussi des transformations sociales. Assurément entrés dans l’ère pré pubère du tout, tout de suite, de la rotation nécessairement rapide du capital, du rétrécissement du calendrier politique (pour ne pas écrire électoral), de l’urgence programmée par la culture du résultat, comment ne pas constater que nous avons perdu, d’emblée ; impuissants que nous demeurons de pouvoir jamais justifier nos travaux autrement que dans le long terme ?

C'est ceci que soulignait Braudel en distinguant trois couches de temporalités pour dresser son histoire de la Méditerranée où la couche politique est la seule à être turbulente mais ne serait pourtant que l'écume brouillonne et désordonnée de temporalités bien plus lentes, presque immobiles dont elle n'est en réalité que l'ultime hypostase.

On devrait s’interroger plus sur le délire mégalomaniaque de cette ère qui croit avoir aboli l’espace, économiquement, par la mondialisation, culturellement via Internet, en même temps que le temps par le truchement de l’informatique, des medias, de cette culture du scoop, du direct.

La toute puissance se manifeste toujours par la suspension du temps : que la lumière soit ! Et la lumière fut ! Rien, nul délai, entre ces deux phrases. C'est en ceci que réside l’omnipotence. Quand la parole se fait acte, qu'il suffit de parler pour que le réel obéisse ! Ce que la formule du magicien contrefait à l'envi. L'impuissance totale se traduit quant à elle par un temps infini entre la parole et le réel. Si pouvoir nous aurions, il résiderait, manifestement, dans la capacité de réduire quelque peu l'infinie distorsion entre nos désirs, volontés et le réel !

Le sage est celui qui a le temps pour lui - il est tempérance - le fou au contraire piaffe d'impatience !

Le politique aussi ! Le négociateur encore !

La logique de la patate chaude

Dans démarche de la LRU, tout se négocie, à des échelons divers ! Et la logique veut que les arbitrages se fassent au plus près de leur terrain d’application ! Le ministère refile la patate aux présidents d’universités ! Et, en cascade, du global au local, la conciliation devra bien s’opérer, entre pairs ! Et la concession ! Tout ce qui se gagnera (soyons prudent : se préservera) se fera nécessairement au détriment d’autre chose ! Dans la perspective de budgets serrés, on imagine l’ambiance !

Sans compter que dans l’esprit d’une responsabilité assumée, chaque petit centre d’arbitrage se devra de rendre compte, de justifier. D’enseignants et/ou de chercheurs, nous n’en finirons plus de devenir des producteurs de contrats d’objectif et de moyens, de rapports d’étapes et autre bilans de réalisation ! Et nous glisserons, invariablement, du terrain de la science, à la science du terrain !

La division du travail garantit l’homogénéité de l’ensemble : au global, les grands principes, les valeurs voire les déclarations d’estime ; au local, les compromis, les pertes et parfois même les quelques gains ! Le prix à payer : l’ample solution de continuité entre les deux ! Le prix à récolter : les victimes se font bourreaux ! Le tour est joué !

Quand je disais que le système était pervers !

Négocier c'est instrumentaliser