Appel

De l'école aux camps en passant par l'armée... Curieusement c'est à ceci que je pense d'abord. Forme initiale de l'asservissement. Celui que l'on appelle, doit être là et sera sanctionné si tel ne devait pas être le cas. Celui que l'on appelle doit répondre présent! Il n'est pas celui qui s'approche, tend une main, ou s'éveille à l'être mais au contraire, consigné dans l'être-là, posé ici, réifié.

 

Mais celui que l'on appelle est aussi celui que l'on nomme, à qui l'on reconnaît la grandeur du visage. Celui à qui l'on veut parler, avec qui l'on veut échanger. Celui que l'on aime, espère ou attend. Celui que précisément l'on aimerait voir s'approcher au contraire de tout à l'heure.

 

Mais l'appel c'est aussi cette invite, inextricable, presque comminatoire à quoi nous convoquent les dieux ou nos supérieurs: aiguillon presque métaphysique à l'extase, à évincer le  quotidien et embrasser une destinée sinon exceptionnelle en tout cas privilégiée. Être appelé, c'est faire oeuvre commune, participer à mission qui vous dépasse et exhausse, sortir de l'ordinaire: être un héros!

Dans tous les cas... une voix!

 

J'aime à penser que de l'enfer au paradis ce soit toujours de voix dont il est question. Que ce soit la voix précisément qui fasse question à défaut de problème. A l'intersection de l'être et du néant, de l'enfer et du paradis, la voix, cet entêtant logos!  Il faut être résolument naïf - ou post-moderne! - pour y voir une question de communication quand il est plutôt enjeu de cette improbable intersection où l'être se joue de et d'avec la pensée.

J'aime que ce soit ce même lieu, ce même interstice où s'écartèle l'horreur et s'élève la promesse: je devine cette intersection qui réunit, résume et rassemble celui qui traduit et trahit, celui qui porte, transporte et déporte, qui avertit, convertit, divertit ou pervertit, parce qu'elle est le palais du symbole comme du diabole Et que, sans nul doute, c'est tout un - ou le risque - de confiner au sublime ou de déchoir!

 

Le téléphone sonne ce matin: on m'appelle. Quelqu'un, quelque part, songe à moi, désire me parler, a quelque chose à me dire! Il me reconnaît puisqu'il veut me parler. Mais en même temps, il me dérange: il interrompt ce que j'étais en train de faire, ou bien  la paresse où je me négligeait. Cette interruption est une irruption, presque une invasion. Me voici plongé dans un temps qui n'est pas le mien, convoqué dans un espace qui m'est étranger. Mais, au moins, ne cessé-je pas d'être de quelque part. Les espaces se bousculent et sans doute chercheront-nous un lieu commun à partager, par quoi l'on dit que se joue - et parfois se perd -  l'humain.

 

Transi de sueur, je m'éveille brusquement, et des lambeaux effilochés de rêves enfouis, persiste cette lancinante certitude d'avoir quelque chose à faire, dire ou écrire. Je me sens appelé à accomplir, incertain  de ce qui me convoque, une voix ou  mon désir qui me trompe. Pourquoi, persistante, sans cesse renouvelée, malgré les échecs, les impuissances ou les reports réitérés, pourquoi cette certitude d'avoir une destinée à pourfendre et des traces à dessiner? Est-ce forfanterie ou humilité que de se soumettre à cet appel?

La cause, oui, est appelée à la barre! la question va être jugée, décidée, dénouée.

Peut-être n'avons-nous de cesse que d'être ainsi appelés.

 

Ce pourquoi embarrasse le portable. Qui me convoque de nulle part, n'importe où. Je n'aime pas cette impertinence ubiquiste qui singe le divin en nous condamnant à l'impatience.

 

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