Attente

Le poids le plus lourd

Nietzsche croyait que ce fût l'éternel retour ! La certitude que ce que l'on ressent séant, que l'on vit à un moment précis, que l'on décide dans l'ivresse illusoire de pouvoir ainsi déchiqueter, ne serait-ce qu'un tout petit peu, l'échevau serré des chaînes causales, la certitude, oui, que tout ceci n'est ni inédit ni anodin mais bien plutôt une implacable itération qui nous obligerait effectivement à nous demander si ceci nous le voulons bien, parce que nous le voudrions à perte de vue, à perte de pensée !

C'est vrai que ceci suppose l'amour, l'estime au moins, de soi et de la vie ! A l'opposé absolu de l'insouciance, je n'ose écrire l'innocence, l'affirmation claire de soi face à ce destin auquel nous ne saurions nous soustraire et nous obliger à nous demander, encore et toujours, cet acte, cette décision, ce désir ou ce renoncement, sont-ce bien les miens ? Comment ne pas s'affirmer, soi et la plénitude de sa volonté, dans de tels cas ! dans une telle posture. De l'autre côté, l'invraisemblable incapacité à s'attacher à rien non plus qu'à soi, où se joue moins l'innocence que la désinvolture, où l'être si léger se détourne à jamais de soi et du monde !

Insoutenable légèreté de l'être ! Oui peut-être ! mais il m'arrive de songer que les deux se valent : que l'entêtement destinal à l'aveuglement ne pèse en réalité pas beaucoup plus lourd que la volatile ingénuité où nous nous réfugions ! De l'autre côté du miroir, simplement, de part et d'autre de cette ligne de partage, de cette rivière que l'on nomme sottement le temps, la vie, la chance.... ou le destin !

De cette rivière où nous ne nous baignons jamais deux fois, c'est tout un que de dire que nous nous y baignons sempiternellement ! Croyant nager ou surnager, le courant nous emporte et nous demeurons au fil de l'eau, du rasoir ou du miroir, interdits, impuissants de trop croire être les artisans de nous-mêmes !

Tout fuit, tout passe, tout nous échappe, mais nous en premier lieu ! Tout sans doute nous échappe, nous faisant l'illusion que ce tout de nous-mêmes s'échapperait quand en réalité la grande anémie de la vie ne fait que nous éviscérer, lentement, besogneusement avec pour seule métamorphose, le mirage de notre assentiment !

Peut-être est-ce plutôt au mitan, du lit, de la rivière, du miroir que grève au plus douloureux ce qui en somme nous paralyse. Certes, ici, à équidistance des deux rives, ce centre imaginaire, abstrait, seulement géométrique qui résume, rassemble et accueille les deux berges ensemble ! Lieu fantastique, proprement, qui n'occupe nul espace mais les pense tout ensemble, qui est peut-être le lieu de la pensée ... ou la pensée elle-même !

A équidistance de l'être et de la vacuité, du sens et de l'absurde, penser, rêver, imaginer ou supposer c'est ne pas nager, c'est renoncer à rejoindre l'une ou l'autre des rives par crainte de renoncer à l'infinie combinatoire des possibles ! Penser, oui! c'est ne pas agir, c'est perdre l'être à le vouloir tout entier embrasser ! La vérité est peut-être femme mais alors elle se rit de nous

Cette impuissance à rien saisir, cette insoutenable dilection à douter, s'interroger, c'est bien le faix délicieux de la croisée ! Aussi douloureuse que la certitude du destin ! Condamné à attendre que la visée se précise, rester interdit au lieu où les routes se rejoignent et savoir nonobstant que choisir telle voie ne changera finalement rien !

Tendre vers l'être ou l'attendre ? lors même qu'il fuiera ! de toutes façons !

 


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