Matinée

Ne pas savoir regarder son visage, sans trouble ni tremblement. Ne pouvoir plonger en son regard sans laisser jaillir quelque chose d’une délicieuse souffrance. S’acharner à ne pas comprendre comment ni pourquoi ce regard si troublant, émeut encore de n’être plus étrange mais étranger.

On ne gomme rien, jamais de son passé ; il resurgit au détour d’une lettre, d’une photographie retrouvée par hasard, ou, plus honnêtement, recherchée, non pour la nostalgie, moins encore pour la souffrance inutile, mais pour l’espérance d’une aube que n’ombrerait plus la rancœur.

Ce regard est beau, comment dire que je l’ai aimé ! Comment avouer que pour lui, pour la tendresse qu’il projetait alentour, pour la chaleur dont il enrobait mon âme, j’aurais pu tout, dire ou faire, et persévérer encore et toujours. Comment dire que j’ai adoré la flamme dont il sut orner l’âtre de nos jours, l’âme dont il sut embellir le chemin, si rustre autrement, si fervent grâce à lui ? Un jour - mais était-ce un jour, ne serait-ce pas plutôt, subrepticement, au fil des détours répétés et des manques ordinaires ? - insensiblement se ternit l’éclat, se détourna le regard. Et pâlit le bleuté de ses yeux !

Qu’avais-je commis, ou omis de faire ? Où, quand, avais-je égaré la pépite qui éclairait ses jours, la perle de ce collier qu’elle ne porterait plus ? J’avais vu ce miracle du regard qui fit de chaque jour de labeur un jour de fête ; je désespérai subitement de voir chaque fête s’effriter dans le plus sordide des quotidien !. Les amours finissantes ressemblent sans doute à ceci qu’elles ne transfigurent plus rien, ni les rires, ni les pleurs ; ni les craintes ni les espérances !

Que ce regard pourtant ne s’éteigne jamais ! qu’il ravive ses bleuités à d’autres cieux, qu’il trempe ses larmes à d’autres rives, parce qu’il est juste que la vie sacrifie à la vie, et que le temps ne se fige pas trop vite pour qui a encore tant de rêves à fourbir ; tant d’angoisses à assagir ; tant d’hardiesse à tempérer pour s’offrir enfin à la quiétude. Avoir tant à dire encore, tant à rêver aussi qui vous exhausse, et devoir désormais se taire ; vouloir et ne plus pouvoir ; conjuguer jusqu’au dégoût les ores de l’impuissance mais savoir, au plus secret détour de son âme, que le reflux annonce marée plus vive qu’il faut accueillir sinon avec ferveur du moins humilité.