(1) C'est d'abord un fait assez constant, qu'après la prise de Troie la
vengeance des Grecs, s'étant exercée sur le reste du peuple troyen, ne
respecta qu'Énée et Anténor, soit que le droit d'une ancienne hospitalité
les protégeât, soit que les conseils qu'ils avaient toujours donnés, de
rendre Hélène et de faire la paix, engageassent le vainqueur à les épargner.
(2) C'est encore une chose universellement connue, qu'après diverses
aventures, Anténor, à la tête d'une troupe nombreuse d'Hénètes, qui, chassés
de la Paphlagonie par une sédition, et privés de leur roi Pylémène, mort
sous les murs de Troie, cherchaient un chef et une retraite, pénétra
jusqu'au fond du golfe Adriatique, (3) et que, chassant devant eux les
Euganéens, établis entre la mer et les Alpes, les Hénètes, réunis aux
Troyens, prirent possession de leur territoire. Le lieu où ils descendirent
d'abord a conservé le nom de Troie, ainsi que le canton qui en dépend, et
toute la nation formée par eux porte le nom de Vénètes.
(4) Énée, rejeté de sa patrie par la même catastrophe,
mais destiné par le sort à fonder de bien plus grandes choses, arriva
d'abord en Macédoine, passa de là en Sicile, d'où, cherchant toujours une
patrie, il vint aborder avec sa flotte au rivage de Laurente, appelé aussi
du nom de Troie. (5) À peine sur cette plage, les Troyens, auxquels une si
longue navigation sur ces mers, où ils erraient depuis tant d'années,
n'avait laissé que des armes et des vaisseaux, se répandent dans les
campagnes pour chercher du butin, lorsque le roi Latinus et les Aborigènes,
qui occupaient alors le pays, accourent en armes de la ville et les
alentours, pour repousser l'agression de ces étrangers. (6) Suivant les uns,
ce ne fut qu'après une défaite que Latinus fit la paix et s'allia avec Énée.
(7) Suivant d'autres, les armées étaient en présence, et on allait donner le
signal, lorsque Latinus s'avança entouré de l'élite des siens, et invita le
chef de ces étrangers à une entrevue. Il lui demanda quelle était leur
nation, d'où ils venaient, quel malheur les avait exilés de leur pays, et
quel projet les amenait sur les rivages Laurentins. (8) Lorsqu'il eut appris
qu'ils étaient Troyens, que leur chef était Énée, fils d'Anchise et de
Vénus, et que, fuyant leur patrie et leurs maisons en cendres, ils
cherchaient un asile et un emplacement pour y bâtir une ville, pénétré
d'admiration à l'aspect de ce peuple glorieux et de celui qui le conduisait,
les voyant d'ailleurs disposés à la guerre comme à la paix, il tendit la
main à Énée, pour gage de leur future amitié. (9) Le traité se fit alors
entre les chefs, et les armées se rapprochèrent; Énée devint l'hôte de
Latinus, et, dans son palais, à l'autel de ses dieux pénates, Latinus, pour
resserrer par des noeuds domestiques l'union des deux peuples, lui donna sa
fille en mariage. (10) Cette alliance affermit les Troyens dans l'espérance
de voir enfin un établissement durable fixer leur destinée errante. Ils
bâtissent une ville. Énée la nomme l.avinium, du nom de sa nouvelle épouse.
(11) De ce mariage naquit bientôt, comme du premier, un fils qui reçut de
ses parents le nom d'Ascagne. |