Blanche

Remonter Le mélanophore Le voleur d'âme Blanche

 

Elle n'était pas bien ronde, pourtant, et nul n'aurait donné cher de sa peau. Si fluette qu'un simple coup de vent l'eût simplement tourneboulée; si timide que personne ne l'avait véritablement remarquée ou seulement entendue. Patiente, elle attendait depuis quelques heures déjà qu'on lui prêtât attention, mais le brouhaha dehors était tel, qu'il n'en fallait rien attendre.

Tout serait si simple pourtant si l'on m'écoutait! Les âmes s'apaiseraient, les armes se tairaient  et les hommes comprendraient mieux tout ce qui les unit plutôt que d'exacerber ce qui les déchire de part en part sur leur front hérissé de haines. Ainsi va la vie, pensait-elle! Je sais qu'il y a là, quelque part, quelqu'un qui m'attend et ne me trouvera peut-être jamais. Seule, j'étouffe comme une phrase qu'aucune virgule ne fait respirer; je languis telle l'adolescente désespérant de sa vie impuissante qu'aucun dessein n'embrase.

Qui racontera jamais l'histoire d'une note sitôt que l'archet la frotte le long des cordes de son violon? Certes, nous pouvons toujours calculer les vibrations de l'air. Mais est-il jamais calcul qui emportât l'âme? Non la note n'est pas physique! Elle est de l'âme dont elle résonne les élans; elle est du cœur, parfois, dont elle sèche les larmes; elle est de l'esprit pour la pureté où elle nous oblige. La note est d'humanité parce qu'il n'est pas d'homme qui vaille sans elle. La note seule n'est rien: tout juste bruit, perceptible ou tonitruant. Rumeur, désert, vague écumant dans le lointain, qui gonfle, renfle et éclate subitement ici devant nos yeux, la note ne prend son élan que dans la rencontre des autres.

Alors la musique se fait océan, aventure et danger. Comme l'homme dont elle épouse les torpeurs, la note ne sait vivre seule. Mais les hommes se combattent plus qu'ils ne s'aiment et toujours l'un manque d'écraser l'autre. La musique, quant à elle, offre ce subtil chorus où la corde chancelante du violon ne s'évanouit pas devant le brouhaha de l'orchestre, mais le complète et lui donne un sens;  où le piano, pourtant si puissant de majesté, ne parvient jamais à couvrir l'alto, mais lui dessine au contraire un chemin où s'épanouir.

Quand les notes enfin s'entremêlent, alors enfle le fleuve de nos amours. Le courant, irrépressible, fuse ainsi qui rejoint l'océan de toutes nos vertus possibles. J'aime la musique qui sait exhausser ce qui, en nous est le plus noble, et rêver l'impossible. Parce qu'elle est vivante, elle se nourrit d'elle-même et embrase l'alentours.

Je ne sais s'il est un paradis pour les notes de musique; je devine seulement qu'il doit bien être quelque part un espace, où elles s'assemblent, sitôt que nous cessons de les entendre, prêtes à jaillir, renforcées de leurs semblables; je sais seulement qu'elles sont une force, invisible et patiente sans laquelle le monde ne serait pas vivable, et les hommes bien moins aimables.

Quelque part, dans un manoir oublié, à l'insu de tous, bouillonne une coupe, d'où, constamment, se déversent les notes de la vie.