L'incorruptible

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Démêler le mythe

Comme toutes les grandes figures sans doute de notre histoire, Robespierre est engoncé dans des représentations ambivalentes, contradictoires; paradoxales pour le moins. Tout le monde, même ses ennemis politiques, s'accordèrent, dit-on, à lui décerner ce titre: les uns pour l'en louer; les autres pour l'en blâmer.

D'un côté le pur, celui qui ne dévie en rien de sa route et ne trahit jamais ses principes

De l'autre le fanatique, sans nuance, prêt à tout, précisément parce qu'il est sincère, fidèle à ses idées. 1

D'un côté, le garant des principes de la révolution, luttant avec acharnement contre tous les traîtres (La Fayette, Mirabeau, les Lameth etc. si prompts à contrefaire les démocrates pour mieux tirer de subsides d'une Cour dont ils demeurent les impénitents féaux ) contre les lois injustes (le marc d'argent par exemple 2) qui trahissent le fondement même de la Révolution ; l'égalité  !

De l'autre l'enragé, qui invente la terreur, pour ne pas dire le terrorisme d'état, qui substitue la guillotine à la politique: en bref celui qui dessinerait les prémisses du totalitarisme.

Il y a bien deux Robespierre comme, au reste, il y a deux lectures de la Révolution. Irréconciliables!

 

 

Gauche/ Droite

Il est de bon ton, désormais, de déclarer caduc le partage gauche/droite. Il est moderne, désormais, d'en appeler à la responsabilité et au travail et de fustiger un clivage qui n'aurait plus de sens hormis, évidemment durant les campagnes électorales où il importe nonobstant de cliver (horrible néologisme de journalistes)!

Certes il est sans doute devenu faux de considérer que la ligne de partage d'entre la gauche et la droite serait celle de l'ordre et du progrès, du conservatisme et de la réforme voire la révolution ! A Comte l'avait perçu assez bien : les sociétés humaines sont également animées par l'ordre et le progrès et ce sera tout l'objet de sa philosophie d'ailleurs que de donner un sens à cette ambivalence et donc de les concilier.

Non, ordre et progrès ne sont pas contradictoires, même pas paradoxaux; juste ambivalents.

Non! le partage se situe ailleurs que suggère assez bien cette représentation si contrastée de Robespierre. Un partage qui, selon nous, commence dès le début du mois d'Août 89 lorsque d'aucuns, effarés sans doute de leur propre audace, commencèrent à proclamer qu'il faut en finir avec la Révolution quand d'autres pensaient qu'elle commençait à peine. Quand d'aucuns considérèrent que leur tâche s'achevât qui consistait à donner une constitution, non à la France, mais au Roi, qui réglât la distribution des pouvoirs de manière plus équitable - entendons, qui leur laissât de la place.

Non, le partage se situe ailleurs, d'entre ceux qui virent dans 89, une simple réorganisation des pouvoirs, une question certes politique, mais considérée de manière purement technique (une nouvelle répartition des pouvoirs au sein de l'État) et ceux, au contraire, qui y virent une véritable refondation de la nation à partir du souverain populaire. Entre ceux, finalement pour qui la liberté politique était au centre des débats, qui méritait qu'on se batte pour elle, mais qui justifiait qu'on s'arrête sitôt celle-ci acquise par le biais d'une constitution; et ceux, au contraire pour qui l'égalité politique était, au fondement, ce qu'il fallait garantir, défendre.

Il est trop tôt, évidemment, pour que la question sociale envahisse le champ politique et sans doute n'est-il pas faux, même si c'est une lecture plutôt marxiste que de l'écrire, que 89 fut plutôt une révolution bourgeoise qui se cantonna au politique. Mais même à l'intérieur de ce champ étroit du politique, le clivage se fait immédiatement sentir.

Il n'oppose pas républicains et monarchistes - ce serait trop simple - et du reste jusqu'en 91, rares sont ceux qui en appellent à la république, même pas Robespierre. Il faudra Varennes pour que commence à se poser la question de la destitution du monarque. Non, il oppose ceux pour qui liberté politique prime sur égalité politique! Il oppose ceux qui ne voient dans le politique qu'une question technique d'équilibre des pouvoirs à redistribuer équitablement, et ceux qui, au contraire, reconnaissent au politique toute l'épaisseur que lui  confère le souverain populaire et veulent l'ériger en parcours d'émancipation.

Ces deux camps-là ne parlent pas de la même chose, ni du même lieu: les premiers ont la vertu du pragmatisme mais s'illusionnent aisément devant l'habileté de l'homme providentiel en qui ils verront toujours un salut parce que, pour eux, la politique ne sera jamais qu'une manière technique de gérer les problèmes de la nation; les seconds ont la vertu de l'idéologie pour qui l'action n'a de sens que si elle est au service de principes ais renâclent souvent devant la complexité d'un réel qui se plie malaisément aux contraintes étroites de leurs canons idéologiques.

Pour les uns, le politique est une technique; pour les autres une odyssée, voire une mission, celle précisément de l'assomption de l'humanité libre.

Pérennité du clivage

Toute la question est évidemment de savoir si ce clivage subsiste, sous des formes modernes ou si - au contraire - il est à ranger dans les oubliettes de l'histoire.

Ce que l'on peut dire en tout cas, c'est combien Robespierre cristallise en sa figure même le clivage droite/gauche. A gauche, il est un modèle, à manier avec prudence certes mais un modèle quand même! A droite, il incarne la répulsion même, tout ce que le confort bourgeois honnit et haït! C'est bien pourquoi aussi sa figure reste intéressante : à tâcher de la comprendre peut-être parviendra-t-on à comprendre à la fois le sens de ce clivage et ce qu' être de gauche peut encore signifier.

Figure symbolique

Ce qu'on peut dire, en tout cas, sans grand risque de se tromper, c'est que Robespierre marquera pour longtemps, jusqu'à l'avènement du socialisme, jusqu'à Lénine,  l'imaginaire de la Révolution... du révolutionnaire accompli.

Ce qu'on peut dire aussi c'est combien il l'aura marquée : l'épisode de la Terreur n'est certainement pas le plus serein - mais ceci se pouvait-il - mais force est de constater qu'après Thermidor, la révolution est effectivement finie et s'étiole pesamment dans le Directoire pour s'abandonner lâchement dans Brumaire. Après lui, rien ne sera plus comme avant: il aura représenté à la fois l'impossibilité d'en revenir à l'Ancien Régime - et les ultimes tentatives du siècle suivant illustreront la vanité de ces retours en arrière - mais l'impossibilité aussi de poursuivre ce mouvement révolutionnaire, comme si le pays avait eu alors comme le besoin de souffler, ou que simplement la force des puissants fût désormais trop efficace pour ne pas réussir à défendre ses intérêts.

Figure, oui, à sa manière de la sincérité, ou de la loyauté: à ses idées d'abord, si religieusement rousseauistes! au peuple encore dont il se voulut le défenseur ultime, dont il refusa toujours la mise à l'écart du processus politique. C'est pour cela, assurément, que la figure première à conserver qui permet à la fois de comprendre la gauche et la république se joue effectivement dans cette journée de juin 89

Figure du tragique

 

1 Alain

Préjugé. Ce qui est jugé d’avance, c’est-à-dire avant qu’on se soit instruit. Le préjugé fait qu’on s’instruit mal. Le préjugé peut venir des passions; la haine aime à préjuger mal; il peut venir de l’orgueil, qui conseille de ne point changer d’avis; ou bien de la coutume qui ramène toujours aux anciennes formules; ou bien de la paresse, qui n’aime point chercher ni examiner. Mais le principal appui du préjugé est l’idée juste d’après laquelle il n’est point de vérité qui subsiste sans serment à soi; d’où l’on vient à considérer toute opinion nouvelle comme une manœuvre contre l‘esprit. Le préjugé ainsi appuyé sur de nobles passions, c’est le fanatisme.

2 loi distinguant d'entre les citoyens actifs - payant au moins un marc d'argent en impôt - qui auraient le droit de vote et les citoyens passifs qui ne l'auraient pas