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Je suis né dix ans après la guerre : dix années, ce fut donc le temps qu'il fallu à l'adolescent meurtri pour tenter de se reconstruire un avenir !

J'essaie d'imaginer ce que put être ton état d'esprit au retour de la guerre : une famille rapace, prête pour se relancer, à te dépouiller des ultimes restes de l'aisance passée, un père que tu n'as jamais véritablement rencontré et qui, de toutes façons, ne reviendra pas, une mère empressée de se déclarer veuve et de tourner une page où tu ne figureras pas ... Un passé peu glorieux ou effrayant, un avenir indécidable ...

J'essaie de t'imaginer, rentrant, bravant une solitude comme seule la tragédie peut en inventer les affres... j'y parviens mal. Naître de survivants dix ans après la guerre  c'est ceci d'abord : se heurter au non dit, au suggéré, à l'allusion. Refuser de prendre la posture d'enfant de victimes, parce que ce serait odieux et stupide : je ne puis dire avoir jamais souffert de ceci, non plus que de ma judéité ; il n'est aucune légitimité à en tirer pour je ne sais quel sombre combat, ou cause ambivalente ! Mais pour autant, tenter de percer ce voile néanmoins légitime.

Dans cet espace trouble qui va de ton retour en 45 à ton mariage en 52, je sais des études, ta participation à des groupes plus de réflexion métaphysique que politique, ta découverte de la musique classique pour quoi tu nourris un amour immodéré. Ta passion était là, dans la musique de chambre surtout, qui illustrait cette intériorité où tu désiras te replier. C'est alors que tu rencontras notre mère qui, sans doute, eut assez de force pour transformer le reclus que tu étais devenu en père et époux.

A quel trésor d'ingéniosité et de charmes fit-elle appel pour t'extirper de cette impasse ? Tu en sortis, pour quelques années au moins - car je crois bien que, sitôt tes enfants partis, tu te replias à nouveau dans ta forteresse de silence - père et époux animé par une foi forte et sans doute nouvelle pour toi, roborative assurément, et par le goût de l'enseignement, que tu sus discrètement me transmettre - comment ne pas t'en remercier ? 

Toi qui eut de goût des lettres, qui fit profession de la parole, qui travailla aux traductions, comment parvins-tu en même temps à lui préférer l'Aventin de ton silence ?