En présentant ses voeux aux autorités religieuses,
jeudi 17 janvier, le président de la République, devait s'exprimer
devant un auditoire en grande partie conquis. En quelques semaines,
Nicolas Sarkozy s'est imposé comme le premier chef de l'Etat aussi
soucieux de reconnaître aux religions une place dans la société et
dans la " politique de civilisation ". Cette conviction n'est pas
nouvelle mais, dans le cadre de ses fonctions, M. Sarkozy ne l'avait
encore jamais aussi fortement exprimée que ces derniers jours, à
Rome et à Riyad, en Arabie Saoudite, déclenchant en France une
polémique sur la laïcité.
Dans un discours critique envers la laïcité à la
française, M. Sarkozy s'est d'abord adressé aux catholiques, lors de
la prise de possession de son titre de chanoine de la basilique
Saint-Jean-de-Latran, à Rome, le 20 décembre. " La France a
besoin de catholiques ", a-t-il affirmé, après avoir insisté sur
les racines " essentiellement chrétiennes de la France " et
fustigé une laïcité qui aurait tenté " de couper la France de ses
racines chrétiennes ".
" Avec de telles déclarations, M. Sarkozy a
transgressé une frontière, analyse le sociologue de la laïcité,
Jean Baubérot. Mais d'une certaine manière, ces propos
constituent un boomerang par rapport aux excès de républicanisme de
ces dernières années. M. Sarkozy a compris que, au-delà de petits
cercles à qui il peut donner des gages, l'anticléricalisme n'était
plus si virulent. Il estime que son discours sur les valeurs
spirituelles ne va pas foncièrement déplaire à ceux qui se disent
indifférents aux religions et qu'il ne peut que plaire aux
croyants, y compris de gauche. "
Lors de son voyage en Arabie Saoudite, le 14
janvier, le chef de l'Etat a franchi un pas supplémentaire. Au
risque d'un relativisme qui aura pu choquer certains croyants, il a
élargi son propos à toutes les religions du Livre, et notamment à
l'islam, adoptant cette fois une tonalité théologique inédite. "
En affirmant que "Dieu est dans le coeur de chaque homme", il y va
fort, estime M. Baubérot. Il prend là une option
philosophique et personnelle, qui ne relève pas du rôle de président
de la République. "
Soucieux de s'adresser aussi à une partie de son
auditoire français choqué par le discours de Latran, qui faisait la
part belle aux catholiques, M. Sarkozy a souligné devant le Conseil
consultatif du royaume wahhabite l'égale importance qu'il accorde
aux croyants des différents cultes, aux francs-maçons et aux athées.
Cette précaution n'a pas suffi à calmer les
critiques. Mercredi, le député (PS) Jean-Marie Le Guen a jugé "
dangereux " les propos de M. Sarkozy, " qui renforcent la
légitimité de ceux qui prêchent en faveur de la foi la plus radicale
". Le premier secrétaire du PS, François Hollande, a aussi
estimé, mercredi, que le président avait opéré " un double
tournant " sur la question religieuse : " Il en fait un
élément de sa politique extérieure et - en France - il confère à
la religion un rôle presque supérieur à celui donné aux éducateurs
de la République. " Après Latran, François Bayrou, président
du MoDem, avait dénoncé un discours favorisant le retour de la
religion " opium du peuple ".
Quant aux francs-maçons, " émus " par le
discours de Latran, ils jugent celui de Riyad " très inquiétant ",
tout en prenant acte du fait que le chef de l'Etat " - leur -
concède le respect ". " M. Sarkozy met au coeur de la société une
dimension religieuse qui n'est pas partagée par tous. Ces
interventions risquent de radicaliser les positions et de relancer
une forme d'anticléricalisme ", estime Jean-Michel Quillardet,
le grand maître du Grand Orient de France. Un résultat qui serait
l'inverse du concept de " laïcité positive " souhaité par le
président de la République.
Stéphanie Le Bars