Sus à la pub !

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LA MENTALITE DE LA SOCIETE TECHNOLOGIQUE

La publicité est la liturgie démentielle de cette religion de la croissance. C'est d'abord une liturgie coûteuse.

Philippe d'lribarne[1] rappelle que les Britanniques ont dénoncé, dans un «livre blanc» les accords passés par les trois grands groupes mondiaux qui produisent les détergents. Il en résulte que le prix de ces produits identiques pourrait baisser de moitié si ne s'ajoutaient à leur prix de revient dérisoire, avec des profits scandaleux, d'énormes dépenses de publicité. L'union fédérale des consommateurs a pu établir, en 1977, que tel produit de beauté, dont le prix de revient était de 1 franc et 17 centimes, était vendu en pharmacie 18 francs. La part de la publicité atteint et dépasse, pour de nombreux produits de luxe (apéritifs ou parfums par exemple), 50 % et même 70 % du prix.

La publicité, cette technique du mentir et du conditionnement, est indissociable du système du marché et de la concurrence. Elle a pris son plus grand essor lorsque s'est «inversée la filière», c'est-à-dire lorsque la production n'a plus eu pour objet de satisfaire aux besoins émergeant du marché, mais de créer à tout prix des marchés et des besoins pour accroître la production [2].

Elle est l'un des facteurs de la dégradation des rapports de l'homme avec la nature et des rapports de l'homme avec les autres et avec lui-même.

La publicité, ce n'est pas seulement la pollution des sites et des nues par des panneaux publicitaires tapageurs, des affiches criardes, des prospectus jonchant les rues et embouteillant les postes, c'est aussi, nous l'avons vu, le saccage de milliers d'hectares de forêt pour fabriquer la pâte à papier. Mais la publicité est plus destructive encore des hommes que la nature. Près de 100 000 personnes, employées par les agences publicitaires, sont chargées de créer des réflexes conditionnés: de nous mettre en condition devant des affiches ou des films publicitaires télévisés qui appliquent systématiquement les procédés parfaitement exposés par Hitler dans Mein Kampf à propos de la propagande: dans une assemblée prendre pour cible le plus bête et viser en lui ce qu'il y a de plus bas: les glandes: glandes salivaires devant telle marque de conserves, glandes sexuelles pour telle marque de collants pour dame, ou la présentation de tel dernier modèle de voiture, la publicité automobile ayant toujours tendance à miser sur l'érotisme ou les ersatz mécaniques de la virilité. Enfin la publicité, lorsqu'elle représente 60 % ou 80 % des recettes d'un journal ou d'une revue, exerce sur elle ses pressions politiques[3] tout comme l'image de marque et la puissance d'un distributeur de livres ou d'une galerie de tableaux joue un rôle important dans le tirage d'un écrivain ou la «cote» d'un peintre. D'une manière plus générale, qu'il s'agisse d'un chanteur ou d'une star du cinéma, la publicité et le marketing des imprésarios sont beaucoup plus forts que ne le furent, en d'autres temps, le mécénat des Églises et des princes. Avec cette différence fondamentale qu'il y a ici aussi «inversion de la filière»: les commandes ecclésiastiques ou royales étaient fonction des besoins d'une liturgie religieuse ou politique: l'artiste produisait pour répondre à ces besoins. Aujourd'hui, il produit sans savoir à quels besoins il répond. Le marché et ses manipulateurs en décideront. Seules échappent à ce destin quelques œuvres de génie créées par des hommes captant et vivant intensément les aspirations les plus profondes de leur époque et exauçant en quelque sorte la prière de leur temps, ou, à l'autre bout de la chaîne, ceux qui, délibérément et consciemment, se soumettent aux lois du marché et des trafiquants qui le dominent, faisant d'eux une marchandise ballottée selon les oscillations de la mode, comme une robe ou une carrosserie.

Le gaspillage au niveau de la consommation est ainsi, en dernière analyse, un problème de culture. Car la culture c'est l'ensemble des rapports que l'homme entretient avec la nature, les autres hommes, l'avenir et le divin. Une «société de consommation» pervertit, en leur principe même, ces rapports.[4]


 

[1]Philippe d'lribarne, Le Gaspillage et le désir, Paris, Fayard, 1975, p 45

[2]Lorsque nous parlons de «besoins»-, en régime marchand, il s'agit de besoins solvables, car les deux bers de l'humanité (y compris une part notable dans les pays dits «riches») sont loin de pouvoir satisfaire leurs besoins, mêmes élémentaires, de nourriture, de vêtements ou de logements, mais ceux-là ne présentent aucun intérêt pour le producteur dont le but est de fournir des produits indicateurs de puissance et non de satisfaire des besoins.

[3]Le Figaro arrive en tête des quotidiens français pour la part des recettes totales: 78 % en 1970 L'Express en tête des périodiques:60% en 1969. Berliet a cessé sa publicité dans le Nouvel Observateur à la suite d'une enquête sur son entreprise qui lui déplaisait. Unilever a retiré sa publicité au Coopérateur à la suite d'un article intitulé «les poisons blancs..sur les entreprises de détergents! (Unilever fabrique à la fois Omo, Coral, Skip et Persil !).

[4]Roger GARAUDY, Appel aux vivants, Édition du Seuil, 1979.