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Remonter Sus à la pub ! PUB !

L'annonce par Nicolas Sarkozy de la suppression de la publicité sur le service public audiovisuel veut se parer des plumes du courage et de la clarté : à chaînes privées financement privé, à chaînes publiques financement public... Evidence proclamée depuis vingt ans, depuis la privatisation de TF1. Beaucoup peuvent adhérer à une telle " évidence " et être tentés de dire " chiche ! " dans l'enthousiasme et la confiance. A ceux-là, il faut dire : attention au marché de dupes, réfléchissez avant de saisir la perche. Elle est grosse mais glissante. Cette annonce recouvre un double leurre, au double sens de ce terme.

Leurre d'abord parce qu'il n'y aura pas les ressources pour compenser la perte de 800 millions d'euros et financer de surcroît les programmes supplémentaires pour remplacer les cases publicitaires. A ce jour, et sans doute pour longtemps, il n'y a pas de solution sérieuse, étudiée et prête à être mise en oeuvre. Il n'y a qu'à lire M. de Tavernost, président de M6, sur l'éventuelle taxation des recettes publicitaires du secteur privé. Et je suis bien placée pour rappeler que l'idée de taxer les supports matériels (comme j'avais osé l'évoquer en 2001...) rencontrerait de solides oppositions. Ajoutons à cela le consensus régnant pour ne pas augmenter la redevance. Donc l'engagement de maintenir le périmètre de France Télévisions ne tiendra pas face au problème financier.

Puis-je aussi faire remarquer que le nouveau " puritanisme " réservant le financement privé à l'audiovisuel privé, soi-disant par esprit de cohérence, est en fait parfaitement incohérent avec la politique générale du gouvernement, qui ne cesse de prôner, en particulier dans sa politique culturelle, le recours aux fonds privés : par exemple France 24 (avec TF1), le Louvre à Abu Dhabi, demain peut-être un partenariat France 3-PQR, etc.

Leurre aussi parce qu'on agite la question du financement pour mieux avancer caché sur des projets de réorganisation très préoccupants. J'ai cité les rumeurs concernant l'avenir de France 3. Mais il y a aussi et surtout la mise en cause du difficile équilibre entre audiovisuel privé et public. Deux offensives se dessinent, l'une sur l'accroissement de la publicité sur les chaînes privées, l'autre sur la diminution de leurs obligations de production et de diffusion. Bonjour les dégâts pour la production originale française !

Enfin, et ce n'est pas le moindre risque, l'affaiblissement programmé des chaînes publiques de radio et de télévision ne peut que renforcer la domination des chaînes privées et porter atteinte au pluralisme, dont on parle trop peu dans le débat amorcé. Les alliances, connexions et connivences entre le pouvoir politique, les leaders économiques et financiers et les médias les plus puissants dessinent un avenir sombre pour tous ceux qui tiennent au pluralisme et à une information professionnelle et indépendante. Si le projet annoncé se réalise, la manne publicitaire retirée à l'audiovisuel public va venir conforter les ressources de l'audiovisuel privé et son omnipotence, et lui donnera tous les moyens d'imposer son modèle.

Posons-nous sérieusement la question suivante : si l'on supprime complètement la publicité, les programmes des chaînes publiques y gagneront-ils en qualité ? A supposer que nous soyons d'accord sur la définition de la " qualité " attendue du service public. Nous savons en vérité que ce n'est pas le cas et que cela restera toujours une question en débat, surtout dans notre société de plus en plus médiatique, soumise à l'Audimat, à la loi des sondages et à la pression de la " demande ". Quand bien même, je le répète, nous serions d'accord sur des critères de qualité propres aux programmes de l'audiovisuel public, cette qualité ne s'imposera nullement du seul fait de la suppression de la publicité. Il n'y a pas de lien mécanique, de cause à conséquence. La recherche de l'audience fait partie intrinsèquement du fonctionnement des mass media, sauf programmes très minoritaires et ciblés (comme Arte ou PBS aux Etats-Unis).

Si l'objectif est vraiment d'augmenter la différence entre programmes publics et privés, il y faut à mon avis au moins trois conditions : la première serait de ne pas asséner brutalement une réforme qui bouleverserait radicalement l'économie de l'audiovisuel. Le gouvernement doit donner le temps à la concertation où tous ont leur rôle à jouer : parlementaires, professionnels, publics. Deuxièmement, réexaminer les cahiers des charges pour fixer aux chaînes des objectifs clairs et non contradictoires. Troisièmement, actualiser la réglementation, puisque le contexte technologique et économique a évolué, sans rien rabattre des objectifs culturels et donc des obligations de production et de diffusion. Le rapport Kessler-Richard ouvre des pistes intéressantes.

On voit bien que la clé de toute cette " révision " est dans la définition des moyens financiers impartis durablement à l'audiovisuel public. En les amputant si brutalement, le gouvernement ouvre une boîte de Pandore qui, à coup sûr, ne créera pas un audiovisuel public plus fort, bien au contraire. Ne le laissons pas faire.

Catherine Tasca

 

Sénatrice des Yvelines, ancienne ministre de la culture et de la communication