Transcendance ou Totalitarisme ?

Remonter Loi des 3 états

 

Henri Guaino,1 son présumé "gourou", lecteur de Georges Dumézil, Jacques Berque et Jean-Pierre Vernant, fait profession de foi laïque, mais interroge : "Qui peut nier l'évidence que la transcendance est une étape capitale de l'histoire humaine et l'immanence la mère de tous les totalitarismes ?"

Henri Tincq, Le Monde du 14 février 08

Transcendance ou Totalitarisme

Encore un de ces raccourcis idéologiques dont Guaino a le secret. Qui cache, au reste, un bien curieux paralogisme :que la transcendance fut une étape capitale n'implique pas qu'il faille y rester ou y retourner Qui suggère un bien curieux dilemme : l'impossible débat qui condamnerait le laïc à se condamner au totalitarisme ou, pire encore, à le fomenter lui-même.

Trois remarques:

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Guaino se place délibérément dans une perspective historiciste. A le lire on croirait retrouver un Condorcet . En quelques tableaux, habilement mis en perspective progressiste, voici une humanité se réalisant nécessairement dans un parcours historique qui lui donne un sens ... sauf à considérer que le sens est presque toujours à rechercher à rebours, dans un passé nostalgiquement dépeint plutôt que dans un avenir rationnel à construire.

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Guaino se trahit en réalité comme un positiviste dogmatique. Ce à quoi l'on assiste ici c'est bien à cette tendance furieusement syncrétique visant à rassembler le divers de l'humain en une seule réalité parvenant nécessairement à la parousie. Où l'histoire 2 a sa part essentielle  - comme ligne de démarcation, entre civilisation et barbarie notamment! Réintroduire subrepticement les trois phases de l'état théologique, c'est nous laisser accroire la découverte de la transcendance comme un progrès nécessaire mais incontestable dans la formation de l'esprit humain.

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Guaino confond intentionnellement transcendance avec divin et ceci dans son acception chrétienne. Ce qui est, ici encore, déplacer singulièrement les termes du débat.

 

L'apport judéo-chrétien

On a souvent dit, et répété, que la grande innovation tenait dans le monothéisme. On peut y voir avec Comte, effectivement, l'une des expression de cette exigence d'universalité qui caractérise l'esprit humain, cette exigence d'une représentation unifiée et cohérente du monde qu'évoque F Jacob. A ce titre expliquer le monde par un seul Dieu, relevait encore d'une explication par les fins dernières, et de ce point de vue, restait infra scientifique, mais constituait une avancée indéniable puisque substituait à la multiplicité un principe unique.

Pourtant la grande innovation réside peut-être plutôt dans le passage d'une perspective démiurgique où le divin, unique ou pas, organise le monde en le faisant passer du désordre à l'ordre, en une perspective créationniste où un dieu crée ex nihilo un monde qui lui est donc nécessairement extérieur.

Augustin l'avait bien compris qui délaisse ipso facto l'idée même d'un temps cyclique, devenu impossible, pour un temps linéaire. Le créationnisme c'est plonger l'homme dans une histoire qui ne peut être que celle de son accomplissement ou celle de sa déréliction.

Sous le créationnisme:

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 la liberté comme nécessaire corrélat d'une théodicée dédouanant dieu de l'origine du mal

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l'égalité puisqu'aussi bien l'unique origine du créateur suppose l'unicité de sa création. Cette humanité unique y découvre l'universel

De ce point de vue, on peut effectivement considérer le créationnisme judéo-chrétien comme une étape importante dans la construction de l'espace idéologique occidental. On pourra, avec R Girard, considérer en outre qu'on doit au phénomène religieux en général, et au judéo-christianisme en particulier, d'avor non seulement repoussé la violence hors du domaine légitime de l'humain, mais surtout de lui avoir ôté toute légitimité

1) réentendre aussi sur ce point son intervention sur F 3 ; lire aussi

2)voir discours de Dakar