Des mystères et du ressentiment. S'ils lui savent gré de
son rôle prépondérant pendant la campagne présidentielle à travers
l'écriture des discours du candidat Sarkozy, les députés tiennent le
conseiller omniprésent de l'hyperprésident pour responsable d'une
hécatombe. "Il a envoyé une cinquantaine d'entre nous au carton",
explique un élu encore tout retourné au souvenir de la TVA sociale,
évoquée lors des législatives de juin. "C'est Borloo qui a parlé, mais
c'est Guaino qui a pensé." Et en plus, il parle, se désolent les élus.
"Dans une démocratie, le droit de parler n'est pas réservé aux députés",
s'énerve le conseiller, qui tient cette critique comme l'expression de
"la jalousie" qu'il suscite. Signe de leur agacement : pas un
parlementaire, ni un ministre, n'était parmi les invités, dimanche, sur le
plateau de RTL. "Je n'en ai invité aucun", justifie M. Guaino. Mais
le pire reproche que ces élus lui adressent est de ne pas l'être, lui.
"Il est en train d'hériter de l'image de Dominique de
Villepin en 1997, explique un député. Il n'a aucun contact avec
nous." Suprême insulte ! Comparer le conseiller spécial à celui qui
traitait les parlementaires de "connards" et qui inspira à Jacques
Chirac la dissolution d'autant plus facilement qu'il n'avait rien à y
perdre. "Si je ne les vois pas plus souvent, c'est que j'ai du boulot",
rectifie M. Guaino.
Un ancien ministre qui a vu les deux hommes fonctionner
écarte cette référence : "Villepin avait pris le contrôle du logiciel
chiraquien. Il partageait son fauteuil. Guaino est sur un strapontin."
Une autre façon de dire que le poids du conseiller spécial est moins grand
que lui même et ses ennemis le croient ? Un familier de l'Elysée raconte
qu'il n'a eu raison ni sur la TVA sociale ni sur la gouvernance d'EDF. A
chaque fois, M. Sarkozy a choisi les solutions plus orthodoxes défendues
par Claude Guéant, secrétaire général de l'Elysée, ou Emmanuelle Mignon,
directrice de cabinet. Même les discours de M. Guaino sont parfois
sévèrement corrigés. Autrefois, M. Guaino menaçait de démissionner,
aujourd'hui, il se contente de bougonner : "Moi je ne fais pas de la
diplomatie, je fais de la politique étrangère."
Après les libéraux qui se désolent de son influence, les
intellectuels qui l'accusent de "racisme" en raison du discours de
Dakar, ce sont les proeuropéens qui prennent le relais dans le "Guaino
bashing". Il est aussi vilipendé en privé par Valéry Giscard
d'Estaing, qui n'aime pas le traité simplifié. Et voilà que Jean-Pierre
Jouyet "flingue" le projet d'union de la Méditerranée dont le
conseiller spécial est le concepteur et maître d'oeuvre. "Il a ses
convictions, j'ai les miennes", balaye M. Guaino. "En fait, ces
attaques masquent une critique de la présidentialisation du système,
explique un de ses défenseurs. Les élus et les ministres ont compris
que les réformes sont portées non pas par eux mais par les
collaborateurs." "Dès qu'ils le peuvent, les élus le remettent à sa
place", ajoute un sénateur.
Présent sur le plateau de RTL, l'écrivain Denis Tillinac,
qui a connu M. Guaino en 1994 quand il produisait des notes pour Jacques
Chirac, défend ce fonctionnement. "Il dérange parce qu'il essaye de ne
pas se laisser marginaliser par le système. L'exécutif ne doit pas donner
l'impression d'harmonie." Et ce chiraquien de coeur d'expliquer :
"De 1995 à 1997, Chirac, Villepin et Matignon, c'était trop parfait pour
être créatif."
Pour l'heure, Nicolas Sarkozy ne semble pas se lasser de
sa plume, même s'il s'agace parfois des débats vifs dans son entourage. M.
Guaino l'accompagne comme une ombre dans tous ses déplacements. Le
président continue de vanter ses discours : "Et pour Sarkozy,
explique un de ses visiteurs, un bon discours, c'est l'assurance d'une
bonne journée."