Terme

Terme

On n'aime pas d'ordinaire ce qui s'achève ou épuise. Imagine-t-on jamais que le chemin suivi, que tout et tous vous auront indiqué comme la ligne vertueuse s'achevât brusquement, qu'il n'y eût rien au delà et que même le retour en arrière s'avérât impossible ?

Ne pas écouter Descartes ! La roide méthode exige, c'est vrai, que perdu dans une forêt, l'on aille droit devant soi plutôt que sans cesse rebrousser chemin : la logique veut que l'on finisse bien ainsi par en sortir ! Las ! ce n'est pas le cas ! pas toujours ! D'où le philosophe tient-il que la forêt ne soit pas infinie ? d'où tient-il l'assurance de marcher droit quand tout de nos vies, l'absence de repères, nos contradictions, nos craintes et nos envies, nous déboussole ? sinon de ses espérances de lumière; sinon de ses froids calculs ?

J'ai aimé en son temps les paradoxes, ceux de Zénon notamment, et je comprends bien qu'il soit malaisé de penser une flèche qui ne parvienne jamais à son but, ou qui dût subitement s'arrêter pour ce qu'il n'y eût plus devant ni d'espace à pourfendre ni de temps à traverser ! Pourtant je l'ai vue, cette flèche, abruptement suspendue comme si tout autour d'elle se fût évanoui ou qu'elle engouffrât tout espace autour d'elle avant de s'éclipser elle aussi !

Marcher, défier sans cesse le quotidien, traquer l'oeuvre et tâcher de ne pas omettre le sens, risquer çà et là routines et chicanes, lutter comme on le peut contre l'oubli de l'être, qui s'évapore nonobstant, mais remettre toujours un peu trop à plus tard l'effort du sourcier, et puis ... quand même, au détour des jours, découvrir avec effroi qu'il n'est plus d'espace s'offrant à vos pas, qu'arrière et avant se sont dissouts en un identique trou noir qui ne contrefit même pas le tourbillon.On aimerait écrire, selon l'expression convenue, que le sol se dérobe sous vos pas : non ! pas même ceci; imperturbable, le monde reste insensible à un tourment qui n'agite que vous ! Rien n'est changé et pourtant, rien ne ressemble plus à rien.

Je le savais, je l'aurai oublié, le vivant n'est jamais qu'une subtile et incessante interférence d'avec l'alentour mais cet alentour n'existe pas hors de l'intention qui nous meut vers lui ! C'est Kant qu'il eût fallu écouter et non Descartes ! Sartre peut-être !

Le monde n'est peut-être qu'affaire de désir et ne survit pas à l'épuisement de ce dernier. Le chemin qui s'égare ou s'égaye est ronde infernale qui vous ramène sempiternellement au même : il étreint ici le poids le plus lourd !

Frayer derechef le champ de bataille du désir? inventer un en-avant qui ouvre une sinuosité à la flèche pour qu'à nouveau elle pourfende ? Comment imaginer, comment deviner combien curieusement s'éveille l'amusement de redessiner encore et toujours une ligne d'horizon ! Non, vraiment, je n'étais pas préparé à imaginer jamais qu'on puisse se réjouir des lignes qui se ferment, des perspectives qui s'obstruent, des espaces qui s'évanouissent ! Les rêves corrodent comme le feraient des retombées radioactives, laissant intact le monde devenu pourtant vénéneux dans l'entremise.

Sans doute restent-ils des lendemains; peut-être chanteront-ils même ! mais la certitude subsiste que c'est aux tréfonds de son âme qu'il les faudra arracher parce que décidément ce qui soulage n'est pas encore ce qui réjouit.

Au lointain une musique encore sourde, plus devinée que réellement entendue ! J'aimerais qu'elle ressemble à l'enchantement d'un opéra de Mozart