Malediction

C'est sans doute le mot qui est revenu le plus souvent dans la presse ces derniers jours à propos du tremblement de terre en Haïti !

Inculture ou facilités de langage ? toujours est-il que ces hommes de plume que sont nos journalistes se jouent paresseusement de la langue.

C'est ce mot qui a fait réagir D La ferrière 1 et je le comprends. Je n'ai aucune compétence à évoquer Haïti et n'en eusse sans doute aucune lueur sans l'amitié d'Y Chemla 2 . N'en rien dire sinon cet étonnement toujours devant ce petit bout d'île dont l'histoire ne peut nous être totalement étrangère sans nous être vraiment familière qui, c'est vrai, nous fait nous poser la question de l'altérité dans son étrange connivence avec l'identité. Devant ce petit bout d'histoire de l'humain qui nourrit une littérature prolixe et inventive ! Comment ne pas penser à ce passage déniché par hasard chez Marx soulignant que presque toujours ce qu'un peuple ne peut faire prévaloir dans le politique ou l'économique, il le manifeste dans le culturel ou l'idéologique.

Non ! s'agacer plutôt devant cet usage inepte et paresseux de la langue ! Malédiction renvoie à magie, à ce sort que l'on jette et qui vous emprisonnerait dans une fatalité funeste ! A une faute que l'on eût commise et qui vous poursuivrait de génération en génération. Absurde !

Je ne suis même pas certain que, ce faisant, nos plumitifs reproduisent - même à leur insu - quelque chose d'une idéologie coloniale . Je ne suis même pas sûr que ceci révèle l'inculture ambiante. Je crois bien plutôt que ceci traduit la tendance désormais dominante d'un registre où l'on préfère le sensationnel, l'émotion à la raison. La réaction à l'action ! Le slogan à la pensée !

 


1) lire notamment ce passage du témoignage de D Laferrière paru dans le Monde daté du 17 Janvier

C'est pour témoigner de cette énergie que vous êtes rentré ?

En effet, mais pas seulement. Lorsque l'ambassade du Canada m'a proposé d'embarquer vendredi, j'ai accepté car je craignais que cette catastrophe ne provoque un discours très stéréotypé. Il faut cesser d'employer ce terme de malédiction. C'est un mot insultant qui sous-entend qu'Haïti a fait quelque chose de mal et qu'il le paye.

C'est un mot qui ne veut rien dire scientifiquement. On a subi des cyclones, pour des raisons précises, il n'y a pas eu de tremblement de terre d'une telle magnitude depuis deux cents ans. Si c'était une malédiction, alors il faudrait dire aussi que la Californie ou le Japon sont maudits. Passe encore que des télévangélistes américains prétendent que les Haïtiens ont passé un pacte avec le diable, mais pas les médias... Ils feraient mieux de parler de cette énergie incroyable que j'ai vue, de ces hommes et de ces femmes qui, avec courage et dignité, s'entraident. Bien que la ville soit en partie détruite et que l'Etat soit décapité, les gens restent, travaillent et vivent. Alors de grâce, cessez d'employer le terme de malédiction, Haïti n'a rien fait, ne paye rien, c'est une catastrophe qui pourrait arriver n'importe où.

Il y a une autre expression qu'il faudrait cesser d'employer à tort et à travers, c'est celle de pillage. Quand les gens, au péril de leur vie, vont dans les décombres chercher de quoi boire et se nourrir avant que des grues ne viennent tout raser, cela ne s'apparente pas à du pillage mais à de la survie. Il y aura sans doute du pillage plus tard, car toute ville de deux millions d'habitants possède son quota de bandits, mais jusqu'ici ce que j'ai vu ce ne sont que des gens qui font ce qu'ils peuvent pour survivre.

2) lire aussi ce texte d'Y Chemla paru sur le site de Cultures sud