Lu dans le Monde

La dangerosité des gens
du voyage : une vieille histoire

Joseph Pinard, agrégé d'histoire, ancien député (PS) du Doubs

La peur des gens du voyage ne date pas d'aujourd'hui. Ainsi, le 7 juillet 1908, le Journal officiel publiait le rapport présenté par Marc Réville, député du Doubs "au nom de la commission relative à la répression du vagabondage et de la mendicité", débouchant sur une proposition de loi dont l'article 1er était ainsi libellé : "La mendicité et le vagabondage sont interdits sur le territoire de la République".

Extrait de l'exposé des motifs : "Messieurs, le vagabondage et la mendicité ont pris, depuis une vingtaine d'années, un développement tel dans les campagnes et dans les villes de France qu'il est urgent d'apporter par voie législative un remède à cette situation que nos laborieuses populations des campagnes, d'accord avec les citadins honnêtes, désireux de sécurité, nous demandent avec insistance de faire cesser le plus tôt possible. Pour le cultivateur, le rouleur, tantôt simple vagabond, vivant au jour le jour, ne demandant sa subsistance qu'à une existence de fainéantise, tantôt mendiant et se faisant un revenu quelquefois très abondant, le plus souvent cumulant le vagabondage et la mendicité, est un sujet de véritable effroi ; certes on lui fait l'aumône, certes on lui fournit de quoi manger et un gîte pour la nuit, mais ce serait une grosse erreur de croire que c'est par charité qu'on lui alloue ces subsides ; la peur seule détermine cette générosité qui développe encore le parasitisme social dans lequel se complaisent les 400 000 individus en France qui ont juré une haine invétérée au travail régulier ou même accidentel.

Une expérience trop fréquemment répétée a appris aux paysans que sous les hardes du pauvre hère sans abri se dissimule facilement l'auteur de multiples rapines, le voleur de linge étendu sur les haies, de poules picorant dans les champs de lapins mal enclos dans les clapiers, l'incendiaire des granges dont l'entrée lui a été refusée pour une nuit, le satyre profitant de l'isolement d'une femme ou d'une jeune fille dans les champs ou à la maison de ferme, pour assouvir sur elle, ses passions brutales… De tous ces nomades, ceux qui inspirent le plus de terreur aux laborieuses populations des campagnes, ce sont les vagabonds à caractère ethniques, romanichelles, bohémiens ou tsiganes, en France ; Zigari en Italie ; Gitanos en Espagne, etc., sans qu'on puisse en toute sûreté leur attribuer une origine certaine, eux mêmes se qualifiant Roma, (les hommes) ou Kolas (les noirs).

Chaudronniers ou rétameurs, tel est, en général, leurs métiers avoués. Leurs femmes souvent très belles, sous des haillons sordides, disent la bonne aventure. Tous sont des pillards et des voleurs, et malheur à la région qu'ils traversent et surtout où ils séjournent".

Le rapporteur ne faisait que synthétiser de nombreuses propositions de loi de ses collègues notamment celles de monsieur Albert Lebrun, futur président de la République, "tendant à réprimer le vagabondage et la mendicité exercée par les étrangers".

On peut se demander ce qui, à l'époque, suscitait le plus de crainte : atteinte à la propriété, ou peur pour la paix des ménages suscitée par des "femmes souvent très belles" susceptibles de débaucher la gent masculine…

Les temps ont changé, la dénonciation des menaces à l'ordre public demeure. En surfant sur l'émotion suscitée par les graves incidents du Loir-et-Cher, le président Sarkozy, féru de rupture, sait-il qu'il est en continuité avec le dernier locataire de l'Elysée sous la Troisième République ?