Transmettre

hypocrisies trahison transmettre honte lexique

Le retrait de l'oeuvre fit le lit des écrivassiers!

Camus en son Carnet regrettait déjà, dès les années 40 qu'ils n'y eût plus de philosophes, mais seulement des professeurs de philosophie, désormais c'est le journaliste qui brame devant le professeur! Qui prend le pas sur lui ou en lui!

Le libelliste, le pamphlétaire et le pisse-copies brillent au zénith de la communication reine. Et pour un peu l'on prendrait un Sevran ou un Poivre d'Arvor pour de grands écrivains! Et pour un peu un  vaporeux Doc Gynéco ou un Hallyday émigré adopteraient des postures d'intellectuels engagés! 

Non, décidément j'entrevois sous ces dérapages quelque chose de l'être, de la flétrissure de l'être même de qui de la pensée se retire.

Le Messager

M Serres, il y a longtemps déjà, anticipa l'avènement de cette société de communication et tenta d'en mesurer les enjeux autant que les risques. Pensée sous la figure éponyme d'Hermès, la fonction de transmetteur est bien celle de l'ange, du prophète, de celui qui porte, transporte le message. A l'intersection du locuteur et du destinataire, il siège où trahison et traduction sont également possibles.

Il est un moyen, ein Mittel comme le dit la langue allemande, et donc un intermédiaire. C'est d'ici qu'il parle, énonce, dit et interdit, vient et intervient! Logophore, il porte et transporte, transmet et conduit ce que signifie exactement traduire.

Ange ou prophète, c'est tout un.

C'est exactement ce que Dieu demande à Moïse 1 : de porter sa parole! d'être sa bouche !

Remarquable que Dieu prenne un bègue pour porte-parole, comment mieux souligner que le transmetteur n'a pas d'importance, qu'il ne vaut qu'autant qu'il conduise la parole, qu'il n'a de valeur que pour la discrétion qui lui doit imposer de se mettre en retrait de la parole qu'il présente!

Remarquable tout autant, la colère de Dieu devant les réticences de Moïse! Comment mieux souligner que le messager est bien un intermédiaire, combien ce n'est pas lui qui choisit sa place, qui lui est, au contraire imposée; combien le messager ne parle pas de lui-même, demeure seulement l'écho d'une parole venue d'ailleurs. Sa bouche n'est pas la sienne, son verbe non plus. Et sans doute faut-il y voir le sens de la profonde humilité de Moïse qui considérait que n'importe quel enfant d'Israël pesait plus que lui! Sans doute faut-il y reconnaître la raison de la mort de Moïse devant la terre d'Israël: la promesse n'était pas la sienne et toujours le messager doit s'effacer devant la promesse qu'il porte. Porté par les eaux, venu d'on ne sait où, sans véritable origine, Moïse n'a-t-il ainsi ni véritable origine, ni réelle fin! Suspendu à l'intersection à la croisée, il serait malin, dès lors qu'il occuperait un véritable espace.

 

La Parole est souffle, vent ou esprit, n'est ni d'ici ni de maintenant!

Je vois dans cette colère une véritable théorie du mal qu'illustre assez bien la figure du pharisien.

Il y a faute, défaillance, mal, sitôt que l'intermédiaire usurpe la place de l'auteur, chaque fois que le moyen se prend pour fin. Comme si parler était une fin en soi; ou communiquer,  le fond de l'être!

Remarquable encore que le diable soit justement un ange déchu, parce que sa déchéance consiste précisément dans cette dérogation par quoi le messager intercepte le message, cesse de transmettre pour parasiter le message de sa propre importance.

Parler de son propre fonds, c'est cela même trahir.

Quand on ne voit lus que le messager, quand on n'entend plus que lui, quand se brouille le sens, et que l'acte même de parler pèse plus que ce qu'on dit, alors oui il y a trahison! Imposture.!

Se joue ici une délégation en cascade, où l'intermédiaire, défaillant, s'adjoint lui-même les services d'un intermédiaire. Médiation de médiation, intermédiation à proprement parler, nous connaissons cela: ceci s'appelle le langage même!

Remarquable encore le terme utilisé ici: tu seras pour lui un dieu. Avant d'être une question théologique, dieu c'est la parole, la source du sens, et son terme, l'alpha et l'omega. L'être et l'acte gratuit par excellence, celui qui n'est le moyen d'aucune fin. La configuration miraculeuse où se conjuguent être et pensée !

Deux figures bibliques nous le peuvent faire comprendre: l'une est celle de Babel où le cancanage protubérant brouille le sens. A l'opposé de cette hyperbole du bruit ... la pentecôte où l'universalité l'emporte pour quelques instants parce que descend sur les apôtres, l'esprit saint! L'apôtre, celui qui s'approche, qui porte l'esprit ! A l'opposé le grand communicateur qui gesticule!

 

Dans cette médiation en cascade, le ministricule s'est pris pour le prince!et le castrat pour une diva!

 

Je comprends soudainement ce qui m'horripile ainsi tellement dans les forfaitures de ces barbouilleurs à la petite semaine: il s'y agit moins d'oeuvre que de manoeuvres!

 

Et le symbole dégénère en diabole.

1 Exode, 4, 10-17

2 voir Jn, 8, 44

[Le diable] était homicide dès le commencement
et n’était pas établi dans la vérité
parce qu’il n’y a pas de vérité en lui:
quand il profère le mensonge
il parle de son propre fonds
parce qu’il est menteur et père du mensonge

et ce que nous en écrivions