Hypocrisies

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"Les coupables sont facilement identifiables, ils signent leurs crimes en copulant à tout va. La mort est au bout de leur bite. Ils peuvent continuer puisque ça les amuse. Personne n'osera jamais leur reprocher cela, qui est aussi un crime contre l'humanité : faire des enfants, le seul crime impuni"
 

Cette affaire souligne en réalité une triple hypocrisie et un triple dérapage.

Hypocrisie de la presse

Ce que l'article du Monde révèle c'est d'abord la sensibilité à géométrie variable de nos doctes chroniqueurs. Sevran écrit, c'est son droit; on se plait à lui reconnaître quelque style, voire la sincérité de son émotion!

L'homme est chanteur, animateur TV: il est donc sous le feu des projecteurs: il le sait et l'on ne me fera pas croire qu'il le déteste. Assez professionnel pour deviner que les mots ont leur poids; assez rusé pour s'en jouer ainsi que de son image.

Mais ce petit peuple des media est résolument autophage s'il est aussi, à l'occasion, coprophile! La presse se nourrit d'elle-même et des siens! Elle se veut relais du réel mais elle le transporte sous le prisme de ses propres canons! Ce petit peuple côtoie trop les people pour n'en vouloir pas être; il en mime la docte parole; en parodie l'importance; en parasite le sens!

Il va où le pousse le souffle du temps, souffle parce que je ne suis pas certain qu'il y ait beaucoup d'esprit dans cette affaire. Il s'indigne quand il le faut, encense quand il y a quelque prébende à espérer et ... hurle avec les loups.

L'hypocrite est menteur ou acteur qu'importe! ne nous reste qu'à choisir entre comédie ou tragédie! 

Mais il faut sans doute prendre l'étymologie au sérieux: l'hypocrite est ce qui se cache en dessous, sous le masque quand il s'agissait du théâtre antique: il est à l'autre borne de la révélation ce qui s'entend comme apocalypse : ce qui est caché, ici, se déploie en s'approchant de nous; là, se dissimule en se dérobant à nous. Envers et avers de la même réalité, j'y vois ce point de fracture ou de rencontre, cette ligne de partage où nous nous épuisons à discerner ce qui ici se traduit ou trahit.

La presse, sourcilleuse de dénoncer tout empiètement de ses prérogatives ou libertés, prompte à en appeler à l'atteinte à la démocratie, est parfois bien peu regardante quand il s'agit de ses propres complaisances.

 

Hypocrisie de la critique

Il fut de bon ton, autrefois, de se gausser, poliment, de cette chance aux chansons qui enrôlait bardes sur le retour, gorgones ostéoporosée et autres ventripotences essoufflées pour pousser la chansonnette désuète que seule nostalgie et surdité pouvaient encore pardonner ! Cette émission ne gênait pas, même s'il me sembla, pour nos octogénaires, cher payé le faix de la sénescence solitaire! Puis il fut convenu de s'insurger contre la menace de disparition de cette émission, comme si le paysage de nos contrées en était bouleversé, ou que le PAF, plus honnêtement, découvrît l'importance des retraités provinciaux! Que n'entendit-on pas, alors, sur les vertus des lascives calembredaines! Et, derechef, l'on exacerba l'affaire comme si la république en eût été atteinte, ou que le destin de l'humanité s'y jouât!

Que n'entendit-on pas louées les vertus de cette homme, d'autant plus valeureux qu'il comptait le Président dans ses fréquentations (à moins que ce ne fut l'inverse!) . Le même destin lui échut donc qu'à Dalida: quelque chose du prestige du grand byzantin se déversa sur lui et le voici intouchable pour un bon moment!

Les fins de règne sont terribles! Mitterrand le vécut qui vit s'acharner sur son passé tous ceux qui pendant quatorze années eurent le courage de se taire! Sevran, aède avaricieux de sa propre gloire le vit aujourd'hui.

 

Hypocrisie de l'animateur

La tendance est ancienne à faire de la politique spectacle et nous savons depuis longtemps qu'à ce jeu, c'est le citoyen qui se voit exclu de la scène, condamné bientôt à ne pouvoir qu'applaudir ou huer les acteurs qui condescendent à jouer devant lui (pour lui?). Le comble est que cette dérive atteint le spectacle lui-même. L'animateur se prend pour le spectacle lui-même, l'interprète pour l'auteur, le clown blanc pour l'auguste. Dans cette glissade, qui a quelque chose à voir avec l'ontologie, plus personne n'est à sa place et je gage qu'à vouloir jouer la polyvalence, à espérer du chanteur qu'il compose, de l'acteur qu'il chante ou inversement, de l'acteur qu'il pense, plus personne ne sache véritablement ni qui il est, ni sa place, ni même ce qu'on attend de lui. A ce jeu prolifèrent témoignages et romans, simplement publiés parce que l'auteur est connu.

On n'eût jamais attendu d'un Jaurès qu'il chantât; ni d'un Kant qu'il se produisît au cinéma!

A ce jeu tout le monde y perd! Les intellectuels se taisant, bruisse la cavatine des imbéciles et des snobs!

La légitimité de cet homme tenait à son rôle d'animateur: de faire-valoir. Que l'on aimât ou non n'a nulle importance: ce métier, qui pourrait ne pas manquer de noblesse, est de faire connaître, d'introduire. La glissage tient à ceci: subitement le saltimbanque ne s'efface plus, le sycophante prend le pas sur le baladin! Voici que l'imposteur se sert de l'art ou de l'artiste pour ripoliner les nimbes de sa propre gloire!

Et le voici qui publie! et se surprend à penser!

Première glissade : le ridicule de l'hyperbole

Celle de la presse, encore! Qui sait manier l'outrance au moins autant que le philosophe la prudence! Professionnelle de l'hyperbole, accoutumée de l'événement di siècle, du record historique, prompte à entrevoir dans la moindre anecdote le frémissement des révolutions futures, comment imaginer qu'après son silence elle n'allât pas s'acharner contre le malheureux imbécile!

Oh! quelle est émouvante cette vertu outragée! Se lancer des fascistes et autres staliniens  valait sans doute pour les adolescents naïfs militants des années 70.... mais ici?

Cet acharnement à trépigner la bête à terre donnerait presque envie de la défendre!

Seconde glissade: l'hyperbole du ridicule

De la vulgarité peut-être surtout! A vouloir nonobstant pointer la qualité du style, le critique manie la pincette avec souabe élégance! Quand se décidera-t-on à appeler un chat un chat? A vouloir maintenir une bien peu linguistique distinction entre le fond et la forme, que cherche-t-on à préserver? L'homme? Son texte? Entre les deux bornes extrêmes, n'y a-t-il donc pas une place, si petite soit-elle, pour le bon sens?

La réponse faite par Sevran est révélatrice: le mépris affiché (je les emmerde) pour ceux qui ne penseraient pas comme lui, cette propension si naïvement spontanée à se croire victime du complot des bien-pensants est signe d'une belle tolérance, d'une grande finesse de pensée, non?

Mais il y a plus grave!

Troisième glissade : les remugles de la haine!

Que des esprits supposés fins, comme des intellectuels ou des artistes, supposés aider à nous rendre le monde compréhensible ou, surtout,  habitable, ouvrent ainsi la voix au plus insane de leur refoulé est proprement inquiétant.

Je retrouve, dans ces termes si précisément choisis où bite le dispute à merde, la même sourde inclinaison au pire, l'identique et perverse prédisposition au scatologique d'un Rebatet ou d'un Céline !

Ne pas mettre au même plan les dérapages d'un maire connu pour ses excès mais se souvenir que ce n'est pas tout à fait la première fois que ceci se fasse.

Faut-il rappeler l'interview de Carrère d'Encausses l'année dernière?

La même haine du nègre; le même éloge de la stérilité! Les mêmes items, jusqu'à présents inavoués, que ceux, explicites d'une extrême droite qu'on avait appris à reconnaître et combattre!

Les clercs se sont tus, les media trahissent et les bateleurs passent à l'ennemi avec armes et bagages!

Devrait-on véritablement se taire d'un irénisme aussi coupable que veule?

Cette affaire révèle une vraie trahison

1  Roger-Gérard Schwartzenberg, L'État spectacle , 1978