Ethique

 

Remonter Puissance ou stérilité?

 

"La vie n'est qu'une ombre qui marche ;
 un pauvre comédien qui s'agite et se pavane une heure sur scène et puis qu'on entend plus.
 C'est une histoire, racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie... rien."

Le tragique,  il est vrai, renvoie à un conflit inextricable, dont on ne peut se sortir comme d'un piège, en somme; le héros étant celui qui affronte ainsi son destin sachant, devinant en tout cas, que son action reste désespérée, qui n'aura aucun effet sur son histoire.

On peut comprendre les réticences des lecteurs de Girard : l'issue qu'il nous propose, la seule susceptible de nous faire échapper au cataclysme de la montée aux extrêmes, revient à une conversion intime, moins métaphysique d'ailleurs qu'eschatologique, qui engage chacun, individuellement et qui, pour ceci même et rien moins que probable.

Conversion

Il y a quelque chose, dans le discours de Girard, qui confine au discours de fondation: chez Platon, le chemin du savoir est certes ce parcours lent et difficile d'une sortie; il est d'abord l'effort si douloureux d'une conversion. Se retourner vers la lumière pour endurer d'abord l'aveuglement avant même que de pouvoir seulement espérer supporter la lumière, c'est le risque que prend l'homme  de perdre d'abord avant de pouvoir espérer seulement gagner. Mais c'est une conversion de l'être, pas seulement du regard porté, pas seulement de la posture. Et c'est bien, sans doute, parce que le chemin qui mène à la connaissance débute par une perte, l'incertitude et l'aveuglement, qu'il suppose l'engagement de l'être.

A l'autre bout de la chaîne, à l'extrême fin du processus que décrit Girard c'est la même conversion :  celle-ci, seule, qui pourrait enclencher le cercle mimétique vertueux  du renoncement à la violence. 

L'heure de la philosophie ou celle du religieux ?

Sans doute achevons-nous un autre cycle qui est celui de la prédominance des sciences. J'ignore s'il faut s'en affliger ou s'en réjouir . S'en inquiéter certainement pour ce que ceci peut impliquer de crédulité, de préjugés ou de superstition ; s'en réjouir néanmoins pour autant que ceci suppose non plus seulement la connaissance du monde, mais aussi, mais surtout, l'interrogation du rapport de l'homme au monde.

La philosophie est cette interrogation qui ne se contente pas de sonder le réel et n'oublie jamais que c'est une conscience qui interroge le monde et tente de s'y trouver une place au moins autant qu'un sens.

 1) Quelle est l’attitude du savant face au monde? Celle de l’ingéniosité, de l’habileté. Il s’agit toujours pour lui de manipuler les choses, de monter des dispositifs efficaces, d’inviter la nature à répondre à ses questions. Galilée l’a résumé d’un mot: l’essayeur. Homme de l’artifice, le savant est un activiste… Aussi évacue-t-il ce qui fait l’opacité des choses, ce que Galilée appelait les qualités: simple résidu pour lui, c’est pourtant le tissu même de notre présence au monde, c’est également ce qui hante l’artiste. Car l’artiste n’est pas d’abord celui qui s’exile du monde, celui qui se réfugie dans les palais abrités de l’imaginaire. Qu’au contraire l’imaginaire soit comme la doublure du réel, l’invisible, l’envers charnel du visible, et surgit la puissance de l’art: pouvoir de révélation de ce qui se dérobe à nous sous la proximité de la possession, pouvoir de restitution d’une vision naissante sur les choses et nous-mêmes. L’artiste ne quitte pas les apparences, il veut leur rendre leur densité… Si pour le savant le monde doit être disponible, grâce à l’artiste il devient habitable.

M Merleau-Ponty