Espérances?

Remonter Ethique

 

Comment ne pas voir combien, ici comme ailleurs, l'histoire se chargea de transformer une espérance lointaine en cauchemar immédiat .
Mais écrire l'histoire c'est aussi ne pas savoir dire quel en est l'acteur ni la cause. La langue s'accommode assez bien de cet évasif que le réel transfigure en éviction.

 

La montée aux extrêmes

Dans son récent ouvrage, Girard rappelle combien Clausewitz définit la guerre comme la montée aux extrêmes. Mais la guerre n'est elle même qu'une institutionnalisation de la violence, une de ces pointes extrêmes où l'ordre manque, certes, presque toujours de sombrer, mais où il se sauve, ne fût-ce que par les règles qu'elle s'impose, que par le droit de la guerre. La marque de la modernité tiendrait en ceci que ces verrous auraient sauté en ceci que la violence ne connaîtrait plus aucune limite, ni d'espace ni de temps. Guerre sans commencement, sans déclaration; guerre sans champ de bataille, guerre universelle plus que mondiale qui se veut croisade de civilisations et n'envisage le monde (civils et militaires mêlés, que comme ennemi à battre, abattre, exterminer.

On connaît sa thèse énonçant que le christianisme eût été la première religion, suite au judaïsme, à non seulement dénoncer la violence mais à révéler surtout que dans le processus victimaire, la victime toujours était innocente et donc substituable ! Ce qui implique que le processus sacrificiel, une fois explicité, ne fonctionnant plus, cette montée aux extrêmes serait inéluctable. En bref, il n'y aurait pas d'autre solution que d'entendre le message christique et de renoncer à la violence; d'autant que désormais, via les périls écologiques, violence naturelle et humaine s'entremêleraient invariablement !

« Mes lecteurs, même bienveillants, continuent de ne pas me suivre dans ma conviction que le judéo-christianisme et la tradition prophétique peuvent seuls rendre compte du monde dans lequel nous sommes entrés. »

Les grands antagonismes d'autrefois ont montré leur inanité: certes, la guerre froide a pu faire croire à l'équilibre de la terreur, mais elle n'a pu que déplacer les points de confrontation, et laissé, celle-ci une fois achevée, les conflits rebondir d'autant plus facilement ! Désormais les doubles s'affrontent sans qu'il semble possible encore de canaliser cette violence vers un tiers !

Les photos ici retenues le proclament à l'envie: rien ne ressemble plus à un arrivant qu'un expulsé, un camp de transit qu'un camp de réfugié, un immigrant qu'un émigrant ! Partout les mêmes regards d'effroi, la même hébétude ! La ligne est bien ici, tellement profanée que tous la franchirent! Désespérément !

Cette histoire est exemplaire trois fois :

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elle montre l'impuissance à résoudre ce conflit. 60 années qui ne changèrent rien, marquèrent  plutôt au trait gras l'impuissance à réunir, le cercle infernal des ressentiments et vengeances pour laisser, en face, ces ennemis qui sont pourtant des jumeaux!

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elle désigne le sacrilège : le sillon a été franchi pour laisser entrer la violence dans l'enceinte sacrée ! L'espace de cette terre qu'on dit sacrée, l'enceinte même qui fut le berceau et la croisée de nos cultures reste désormais un champ de bataille infini. La cité vacille dès lors qu'elle inclut la violence en son enceinte.

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elle souligne l'extrême : sous la forme la plus simple du jet de pierre et du terrorisme ! La guerre à la portée de tous, retrouve l'arme la plus simple, l'arme originaire qu'est la pierre. (du gr. έσχατος « qui est à l'extrémité, dernier) et en même temps se donne le champ le plus vaste en effaçant toute limite, en faisant du monde son champ de bataille !

Cette histoire est un scandale : elle est bien cette pierre d'achoppement, ce qui fait trébucher, l'homme out son histoire; les deux sans doute !

Cette histoire est donc bien eschatologique : elle touche aux origines en même temps qu'aux fins dernières. L'alpha nous ouvrait le terrain - universel - d'une violence proscrite dans l'enceinte du temple. L'oméga l'y porte, sans vergogne, ni retenue! Et si les mots ont un sens, ce que balaie la bourrasque de cette rage interminable c'est l'objet même de ce qui se contemple. De la pensée à la prière, de la naissance à la connaissance voici barrée la route de l'universel.

L'expulsion de l'un des frères avait permis à l'histoire de balbutier, quitte à ce que le jumeau ne fut pas tout à fait mort et que le vainqueur disparaisse miraculeusement. Leur face à face rejoue les origines:

Rome n'est peut-être pas si éternelle que cela.

Rome s'est coupée de ses origines ! Et l'histoire mime la réécriture de la Genèse !

C'est désormais la Terre même qui entre dans l'arène : elle qui fut toujours cet espace supposé neutre, portant nos espérances autant que supportant nos violences, devient subitement acteur. Comme si l'enceinte sacrée, ne supportant plus les affres de nos sacrifices, rejetait les acteurs que nous sommes !

Tite-Live dessinait un scenario où l'histoire pouvait débuter par l'éviction d'un seul des protagonistes, et la sacralisation rituelle de cette éviction !

Et si demain, c'étaient les deux qui la subissaient, ensemble; symétriquement?

Je pardonne mal que ce qui eût du être un jour de joie, celui de l'accomplissement de la promesse dût malencontreusement, tragiquement

 

Relation éthique

Qu'entendre par éthique? Tant il est vrai que si la philosophie classique avait su entrevoir les relations humines sous l'aune de la raison (on se comprend ou on ne se comprend pas ) que par la suite avec Hegel et Marx, ces relations seront entendues sur le mode dialectique du conflit (on s'oppose donc on advient), ce que remet ici en question Girard c'est précisément que quelque chose de positif puisse émerger de l'antagonisme !

Ethique : passer de l'opposition à l'unanimité ? Ethique renvoie à l'ethos, au comportement, aux mœurs. Ce qui reste vrai, c'est que jamais comme aujourd'hui, les puissances scientifiques et techniques étant si fortes n'appellent autant de nous un regard moral : ce que désormais nous pouvons, le devons-nous?

Mais écrire ceci n'est-ce pas plutôt baptiser la difficulté plutôt que la résoudre ?

 

"La vie n'est qu'une ombre qui marche ;
un pauvre comédien qui s'agite et se pavane une heure sur scène et puis qu'on entend plus.
C'est une histoire, racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie... rien."
 

"To-morrow, and to-morrow, and to-morrow,
Creeps in this petty pace from day to day,
To the last syllable of recorded time;
And all our yesterdays have lighted fools
The way to dusty death. Out, out, brief candle!
Life's but a walking shadow; a poor player,
That struts and frets his hour upon the stage,
And then is heard no more: it is a tale
Told by an idiot, full of sound and fury,
Signifying nothing."
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suite

1) on trouvera ici une conférence faite par Girard

2 voir par exemple :

Gn, 16, 12 , et il habitera en face de tous ses frères.
3) Shaskespeare, Mc Beth, V, 5, 19

 

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