Terre Promise

 

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Comment ne pas voir combien, ici comme ailleurs, l'histoire se chargea de transformer une espérance lointaine en cauchemar immédiat .
Mais écrire l'histoire c'est aussi ne pas savoir dire quel en est l'acteur ni la cause. La langue s'accommode assez bien de cet évasif que le réel transfigure en éviction.

 

Epopée Rome Israël De Gaulle sur Israël en 67  

 

Une épopée tragique

Il n'est pas d'acte fondateur qui ne suppose une éviction. Ceci, nous le savons depuis toujours. On peut donner à cette éviction une interprétation freudienne ( et alors le meurtre initial signifie la révolte contre le père); on peut aussi lui conférer une dimension sacrificielle ( et alors, selon Girard) le processus victimaire vient résoudre , sur la  personne du sacrifié, une crise mimétique. On peut tout simplement, mais ceci ne revient-il pas exactement au même, y voir réunis tous les ingrédients d'une tragédie !

Deux acteurs jumeaux

Rome

A l'instar de Romulus et Rémus, palestiniens et juifs forment des réalités jumelles; quasi-identiques. La gémellité est ici importante qui souligne parfaitement la crise mimétique. Impossible d'affirmer ici, lequel est, en raison, dans son tort ou dans son droit puisqu'ils sont identiques. La violence naît précisément de l'identité des acteurs et de leurs désirs. On remarquera que cette identité est d'autant mieux marquée que l'origine des protagonistes est trouble puisque aqueuse ! Les deux frères descendent d'Enée et sont eux-mêmes victimes puisque leur oncle se débarrasse d'eux de peur qu'à terme ils ne revendiquent le trône d'Albe !

L'histoire de ce fait n'a pas de commencement : l'origine renvoie à une autre histoire: celle de Troie; renvoie à une autre expulsion : celle d'Enée. L'histoire toujours s'ensemence sur une expulsion. Celle-ci est double en même temps que ratée. Enée doit fuir sa patrie et sa descendance est condamnée. Noyés dans le Tibre, mais sauvés nonobstant, les deux frères ne sont rien et tout à la fois ! L'origine est repoussée à plus haut, plus loin, tellement plus loin, que manifestement les dieux durent y avoir leur part.

La lignée est donc ouverte aussi bien a parte ante qu'a parte post. Impossible de tracer un point de départ digne de ce nom; impossible également de dessiner un terme à cette histoire. D'aucuns racontent que Rémus en réalité ne mourut pas mais fuit pour fonder Reims, d'où la vocation sacrale de cette ville pour la royauté française .

Ainsi sont-ils tous les deux fondateurs de lignées qui s'enchevêtrent d'ailleurs puisqu'ainsi Rome est à la fois la source des nations européennes et propagateur du christianisme.

Mais les lignées latines sont ouvertes

 Rome s'agrège assez naturellement tout ce qui le côtoie et confère assez vite la citoyenneté romaine à qui le désire. Rome naît d'une certaine manière d'Albe la blanche : mais justement cette virtualité-ci souligne à l'envi combien  l'identité romaine est de conquête, et non de nature. Ce que désignera derechef l'enlèvement des Sabines: entre hostis et hospitis, il n'est peut-être pas de si grande différence que cela, et, après tout, il suffit de rentrer dans le cercle, de franchir le sillon pour devenir romain ! Qu'importent les femmes, un ventre suffit pour ensemencer la lignée. Les Sabines vite déchirées entre leurs époux et leurs origines s'interposent. Rome aura inventé ce curieux interstice où s'enchevêtrent amour et haine, fondation et trahison, inclusion et exclusion; culture et meurtre. Tout se passe comme si ce sillon, à l'instar des miroir, était sans tain : on le peut franchir dans un sens; jamais dans l'autre. Quiconque le franchit et le désire, devient romain; mais nul ne le peut franchir. Il n'est pas d'extériorité à Rome; il n'y a rien en dehors de Rome. Rome est universelle ! Et le veut. L'on sait, au reste, que c'est bien pour cette raison, que Rome, bien plus tard, trouva son compte dans la christianisation dans la mesure même où elle y trouva cette universalité qui fut toujours sa marque de fabrique. Rome n'a rien à voir avec la cité antique. En Rome se mêlent urbs et orbs !

Une frontière : Le pomœrium

Il dessine l'enceinte sacrée de la ville. Bien au delà d'une simple muraille, il marque l'enceinte sacrée de la ville : une terre aussi sacrée que peut l'être un temple; et pour cela consacrée à Jupiter. Toutes les activités ont lieu dans cet espace: politiques, judiciaires. C'est parce que cette terre est sacrée qu'elle exclut toute mort; ce pourquoi autant le champ de Mars que les cimetières étaient situés à l'extérieur de cette enceinte. Franchir le sillon était ainsi, pour Rémus, tout sauf un acte anodin : c'était à la fois désobéir et remettre ainsi en question la loi fondatrice de la cité mais, surtout, c'était un sacrilège, une profanation. C'était faire rentrer la violence - la mort - où elle n'avait pas lieu d'être. C'était remettre en cause la fondation même de la cité !

On retrouve ici cette frontière si infime entre le politique et le sacré qui signe le temps des fondations en même temps que l'espace de l'action.

Sur le trône, il n'est qu'une seule place ! L'histoire ne peut débuter que par l'expulsion du doublon, celui-là même qui incarne, par sa ressemblance-même, toute la violence contenue de l'histoire. L'éviction de Rémus hors du sillon, c'est l'expulsion de la violence hors de la cité !

Romulus et Rémus sont issus eux-mêmes d'une lignés d'expulsés. Apatrides, chassés de chez eux, deux fois, à la fois de Troie, via Enée,  et d'Albe par Amulius. Leur destin de fondateurs, ils l'assument en revenant aux origines: en fondant, certes, une ville nouvelle, mais à l'endroit même où ils vécurent à l'ombre de la louve. Leur ensemencement n'est jamais qu'un retour en arrière !

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La promesse d'une lignée

 

 L'Éternel dit à Abram, après que Lot se fut séparé de lui: Lève les yeux, et, du lieu où tu es, regarde vers le nord et le midi, vers l'orient et l'occident;

 car tout le pays que tu vois, je le donnerai à toi et à ta postérité pour toujours.

 Je rendrai ta postérité comme la poussière de la terre, en sorte que, si quelqu'un peut compter la poussière de la terre, ta postérité aussi sera comptée.

 Lève-toi, parcours le pays dans sa longueur et dans sa largeur; car je te le donnerai.

 Abram leva ses tentes, et vint habiter parmi les chênes de Mamré, qui sont près d'Hébron. Et il bâtit là un autel à l'Éternel. 1

Du plus ancien qu'on puisse le retracer, le Livre est d'abord le récit d'une promesse et d'une alliance. Alliance avec Dieu, évidemment; promesse d'une terre et d'une lignée.

C'est peut-être ici que réside la plus grande différence entre le récit biblique mythologique des fondations :  la genèse porte bien son nom qui n'est pas seulement le récit des origines du monde mais celui aussi de la naissance et de l'éducation d'un peuple. Tout semble se passer comme si Israël ne pouvait naître qu'au prix douloureux d'épreuves et de souffrances; comme si la naissance d'une Nation n'était autre qu'un travail d'accouchée. Dans les deux cas, la lignée est divine; néanmoins si Romulus est l'ultime surgeon de défaites politiques et de révolutions de palais, en revanche Abram doit renaître en Abraham (et Saraï en Sarah) pour que l'histoire réellement puisse débuter. Abram n'est pas un exilé, c'est un nomade. On lui donne une terre, mais cette terre n'est pas vierge et pour exister il lui faudra tremper son identité dans la souffrance, n'avoir de cesse de se distinguer des autres, et donc aussi de fermer l'espace pour que nul, de l'extérieur, ne puisse le souiller.

La lignée d'Abraham est fermée; c'est elle qui exclut même si c'est au nom d'un Dieu universel et unique ! C'est bien pour cela que sans cesse Israël se bat dans son histoire, à la fois pour maintenir une identité toujours si fragile mais aussi pour interdire toute intrusion qui la fragiliserait.

Abraham exclut - il ne tue pas - mais ce n'est pas son double qu'il exclut, c'est le doublon de sa descendance. Il vient d'ensemencer deux lignées - et deux promesses. Les deux vivront l'une en face de l'autre.

Israël

On ne peut s'empêcher de songer à Moïse qui, lui aussi, émerge des eaux ! Pour ne pas subir la condamnation de Pharaon, la mère de Moïse le confie aux soins du fleuve . Moïse, lui aussi , est un être double : hébreux, assurément, de la maison de LEVI, il est aussi par son adoption de la maison de Pharaon. Double, sans être duplice puisque précisément l'histoire commence dès lors qu'il choisit son camp, sort de l'indistinction. Sommé de choisir, il procède lui aussi à une expulsion. Les Hébreux sortent de l'indistinction en même temps qu'ils sortent d'Egypte : peuple désormais par le truchement de cette extraordinaire maïeutique que représente la traversée du désert!  L'expulsion elle aussi est double qui en précédera d'autres avec la seconde chute du Temple.

Ismaël

D'emblée la lignée est trouble: ne l'oublions pas, Ismaël est fils d'Abraham et de Agar, la servante égyptienne de Sarah. C'est bien parce que celle-ci était stérile, qu'elle poussa Abraham dans la couche d'Agar. Agar devenue insupportable aux yeux de Sarah sitôt qu'elle eut engendré Isaac.

Le récit est révélateur parce qu'il fait d'Ismaël le demi-frère d'Isaac et dessine d'emblée des lignées antagonistes quoique cousines.

Révélateur encore parce qu'il est derechef question d'éviction. Tout à l'air de se passer comme si le fondateur ne pouvait ensemencer sans au préalable expulser. Comme si toute naissance devait nécessairement être une expulsion - ce qu'elle est par ailleurs.

 

 

 

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Quel sens donner à tout ceci?

Les protagonistes sont en place: Ismaël face à Israël dans un jeu d'expulsion réciproque qui semble ne pas vouloir prendre fin. La guerre des frères qui continue (Caïn et Abel n'étaient finalement que la première occurrence de ces conflits fraternels.). Le conflit, ne l'oublions pas est l'occasion, aussi, de l'ultime demande de sacrifice qu'Abraham manque de réaliser. Isaac ou Ismaël? Si les interprétations divergent entre la Bible et le Coran, toujours est-il que, plus jamais il n'y aura de sacrifice humain, après cet épisode !

Qu'il y ait doute sur le fils à immoler révèle encore, en ceci Girard a raison, que non seulement la victime importe peu et que donc elle est innocente, mais surtout que le sacrifice est bien la solution toujours empruntée pour résoudre les crises mimétiques de violence.

Les victimes se ressemblent! Et quand on regarde bien, rien ne ressemble plus à un camp de réfugiés qu'un autre :

Tout semble se passer comme si les deux protagonistes, frères identiques, étaient condamnés à s'opposer sempiternellement ou que les deux promesses dussent s'entrechoquer à l'infini : car c'est bien de deux promesses dont il s'agit, promesses de lignées, promesse de nations bref d'histoire 2. Mais cette histoire reste tragique parce qu'elle est même, elle porte sur le même peuple, la même terre, les mêmes origines !

Intéressant qu'Ismaël soit défini comme un onagre: âne sauvage dont la qualité supposée est d'être à la fois indépendant et vagabond. Si les deux lignées divergent ce serait encore en ceci que la première serait en quête de sédentarisation et la seconde nomade, encore.

En réalité se dressent ici, face à face, non pas avec mais bien en face, ce que dit le texte de la Genèse, non point tant les deux états de l'humanité (nomadisme v/s sédentarité) que l'ambivalence même des passions humaines. Etre de désir, dont les tendances nous poussent en même temps vers l'extérieur, la découverte, mais le repli, le refuse, l'intériorité. Ils renvoient chacun à leur tour, cette image tronquée de nous-mêmes, cette dimension inachevée de l'être qui, à défaut de quête, en est réduit à la conquête.

 

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suite

 

 

1.22
 Alors Pharaon donna cet ordre à tout son peuple: Vous jetterez dans le fleuve tout garçon qui naîtra, et vous laisserez vivre toutes les filles.

Exode 2

2.1
 Un homme de la maison de Lévi avait pris pour femme une fille de Lévi.
2.2
 Cette femme devint enceinte et enfanta un fils. Elle vit qu'il était beau, et elle le cacha pendant trois mois.
2.3
 Ne pouvant plus le cacher, elle prit une caisse de jonc, qu'elle enduisit de bitume et de poix; elle y mit l'enfant, et le déposa parmi les roseaux, sur le bord du fleuve.
2.4
 La sœur de l'enfant se tint à quelque distance, pour savoir ce qui lui arriverait.
2.5
 La fille de Pharaon descendit au fleuve pour se baigner, et ses compagnes se promenèrent le long du fleuve. Elle aperçut la caisse au milieu des roseaux, et elle envoya sa servante pour la prendre.
2.6
 Elle l'ouvrit, et vit l'enfant: c'était un petit garçon qui pleurait. Elle en eut pitié, et elle dit: C'est un enfant des Hébreux!
2.7
 Alors la sœur de l'enfant dit à la fille de Pharaon: Veux-tu que j'aille te chercher une nourrice parmi les femmes des Hébreux, pour allaiter cet enfant?
2.8
 Va, lui répondit la fille de Pharaon. Et la jeune fille alla chercher la mère de l'enfant.
2.9
 La fille de Pharaon lui dit: Emporte cet enfant, et allaite-le-moi; je te donnerai ton salaire. La femme prit l'enfant, et l'allaita.
2.10
 Quand il eut grandi, elle l'amena à la fille de Pharaon, et il fut pour elle comme un fils. Elle lui donna le nom de Moïse, car, dit-elle, je l'ai retiré des eaux.

Genèse 16

 1Saraï, femme d'Abram, ne lui avait point donné d'enfants. Elle avait une servante Égyptienne, nommée Agar.

    2Et Saraï dit à Abram: Voici, l'Éternel m'a rendue stérile; viens, je te prie, vers ma servante; peut-être aurai-je par elle des enfants. Abram écouta la voix de Saraï.

    3Alors Saraï, femme d'Abram, prit Agar, l'Égyptienne, sa servante, et la donna pour femme à Abram, son mari, après qu'Abram eut habité dix années dans le pays de Canaan.

    4Il alla vers Agar, et elle devint enceinte. Quand elle se vit enceinte, elle regarda sa maîtresse avec mépris.

    5Et Saraï dit à Abram: L'outrage qui m'est fait retombe sur toi. J'ai mis ma servante dans ton sein; et, quand elle a vu qu'elle était enceinte, elle m'a regardée avec mépris. Que l'Éternel soit juge entre moi et toi!

    6Abram répondit à Saraï: Voici, ta servante est en ton pouvoir, agis à son égard comme tu le trouveras bon. Alors Saraï la maltraita; et Agar s'enfuit loin d'elle.

    7L'ange de l'Éternel la trouva près d'une source d'eau dans le désert, près de la source qui est sur le chemin de Schur.

    8Il dit: Agar, servante de Saraï, d'où viens-tu, et où vas-tu? Elle répondit: Je fuis loin de Saraï, ma maîtresse.

    9L'ange de l'Éternel lui dit: Retourne vers ta maîtresse, et humilie-toi sous sa main.

    10L'ange de l'Éternel lui dit: Je multiplierai ta postérité, et elle sera si nombreuse qu'on ne pourra la compter.

    11L'ange de l'Éternel lui dit: Voici, tu es enceinte, et tu enfanteras un fils, à qui tu donneras le nom d'Ismaël; car l'Éternel t'a entendue dans ton affliction.

    12Il sera comme un âne sauvage; sa main sera contre tous, et la main de tous sera contre lui; et il habitera en face de tous ses frères.

    13Elle appela Atta El roï le nom de l'Éternel qui lui avait parlé; car elle dit: Ai-je rien vu ici, après qu'il m'a vue?

    14C'est pourquoi l'on a appelé ce puits le puits de Lachaï roï; il est entre Kadès et Bared.

    15Agar enfanta un fils à Abram; et Abram donna le nom d'Ismaël au fils qu'Agar lui enfanta.

    16Abram était âgé de quatre-vingt-six ans lorsqu'Agar enfanta Ismaël à Abram.

1) Gn, 13, 14-18

2) Gn, 21, 12-13

 
 Mais Dieu dit à Abraham: Que cela ne déplaise pas à tes yeux, à cause de l'enfant et de ta servante. Accorde à Sara tout ce qu'elle te demandera; car c'est d'Isaac que sortira une postérité qui te sera propre.
 Je ferai aussi une nation du fils de ta servante; car il est ta postérité.
Dieu entendit la voix de l'enfant; et l'ange de Dieu appela du ciel Agar, et lui dit: Qu'as-tu, Agar? Ne crains point, car Dieu a entendu la voix de l'enfant dans le lieu où il est.
(...)
21.18
 Lève-toi, prends l'enfant, saisis-le de ta main; car je ferai de lui une grande nation.
 Et Dieu lui ouvrit les yeux, et elle vit un puits d'eau; elle alla remplir d'eau l'outre, et donna à boire à l'enfant.
 Dieu fut avec l'enfant, qui grandit, habita dans le désert, et devint tireur d'arc.

 

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