Il n’est pas de
prédateur sans proie et si celui-là survit d’écarteler celle-ci, sans
doute cette dernière entretient-elle avec le braconnier une inavouable
connivence dont il faut bien que je vous parle
Ce jour-là, mais
n’était-ce pas un soir, ils décidèrent d’entamer leur coupable manœuvre.
Une année durant, ils se retinrent menant chaste silence, bravant calme
tempête. Accommodant leur repaire, affûtant leurs lames, ils avaient su
s’allier les services innocents d’une âme généreuse, ivre de
reconnaissance, superbe de générosité humiliée.
A la croisée d’un
chemin qu’elle ne parvenait à dessiner sans ronger derrière elle les
attaches qui la reliait aux vivants, Iphigénie avait toute l’apparence
du cheminement heureux, toute la noirceur d’une béance inavouée, toute
la rage de n’y point succomber. Flouée par des maternités précoces,
rongée de certitudes que le destin lui permit de seulement asséner,
jamais de réaliser, elle avait de l’innocence la croyance que la volonté
toujours pût suffire à accomplir ; de la jeunesse, l’intempérance et
l’impatience ; de la maturité, la sombre crainte d’une échéance fatale
qui n’autorisât plus ni sursis ni compromis. Au creux de son angoisse,
la certitude qu’il était temps désormais, temps d’être par soi-même,
temps de tracer sa propre route plutôt que de préparer l’excursion des
autres et les regarder seulement partir. Prompte à tout envol, elle
succomba complaisamment aux sirènes lui promettant amours et délices
dont son ombrageux passé l’avait privée.
C’est
sur elle qu’ils jetèrent leur dévolu : pour sa rage de séduction ! Car
ce couple infernal se survivait dans ses dévastations : incapable de se
nourrir du regard qu’ils se portaient, parce que depuis longtemps ils ne
se voyaient plus ; impuissants à dessiner un avenir vers quoi projeter
ensemble leur yeux, ces comparses vaquaient l’un à l’écart de l’autre,
lui aiguisant l’habileté de ses mains à quelque bricolage qui maintenait
sa vigilance et consolait son intelligence désormais défaillante ; elle
vautrant sa nostalgie dans un lit trop grand pour l’exiguïté de ses
rêves que d’opportunes céphalées voilaient malaisément.
Qu’il est
difficile de s’inventer un avenir quand jamais on ne se sera désaltéré
qu’à l'intempérance de soi, qu’à la contemplation égotiste ! Qu’il est
douloureux de n’avoir plus à se repaître que des ultimes rémanences
d’un orgueil bafoué par les flétrissures du corps, d’éphémérides
tellement enfouies sous l’impuissance à renoncer jamais à l’exultation
que les viscères cessent pourtant d’étayer. Comment être quand on n’a
jamais vécu que sous la défaillance extatique de l’autre ?
Ces deux-là
s’aimèrent-ils jamais vraiment ou plutôt ne se regardèrent-ils pas
plutôt mimer l’odyssée funèbres de leur séduction ? Ils durent bien
s’adorer aimer troquant tour à tour les places obvies d’acteur et de
spectateur.
Eperdue
adoratrice de Don Juan dont elle répétait depuis des lustres les
antiennes pédagogiques sans réaliser qu’à se caricaturer ainsi, elle
insultait la quête pour la souiller dans la chasse, Hyménoptère
excellait à confondre débauche et charme : trop soucieuse d’elle-même,
trop inquiète d’en augurer les défaillances, elle ne s’apprêtait
d’atours flamboyants que pour tester sa puissance. Sans doute
n’aimait-elle qu’elle-même et si elle eût pu se séduire elle-même, sans
doute sans fût-elle contentée. Malheureusement pour elle, rongée par les
doutes lancinants qu’accusaient les ridules obscènes de son visage si
las, sa poitrine défaite par tant de fierté bafouée et cet irrépressible
besoin de s’aliter pour mieux fuir la jeunesse des jours, elle n’avait
plus, des armes de la séduction, que les louvoiements fouailleurs du
désespoir.
Magog, quant à
lui, engoncé dans ses rêves de puissance, écartelé par cette asthénie
chronique qui le condamnait à plutôt se repaître des plaisirs des
autres, le séquestrait à l’ombre du miroir, dans cette posture ridicule
du satyre ankylosé de ses propres torpeurs.
Elle se devait de
vampiriser l’albe innocence pour rassurer sa féminité étiolée ; il lui
en fallait la fantasmagorie pour seulement rêver d’une jouissance que sa
débile constitution lui interdisait. Liés par cette infernale
dépendance, incapables de se nourrir l’un de l’autre, ils se devaient
dénicher une proie. Ils l’avaient trouvée !