L'alsace révolutionnaire !

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Alsace : Novembre 18

Pour qui connaît l’Alsace qui, depuis 45 sut rester besogneusement sur son sage quant-à-soi centriste, se souvenir qu’elle connut, même fugacement, une république de conseils a quelque chose sinon d’étonnant, au moins de rêveur !

Deux photos circulent sur le net :

l’une de la proclamation de la république – sans doute après le déboulonnage de la statue de Guillaume II

l’autre d’une séance de ce conseil des soldats :

Elles nous rappellent plusieurs choses :

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Si cette révolution des conseils prend évidemment tout son sens dans l’après Octobre 17 qui lui donne un sens et une portée globale, elle s’appuie tout aussi incontestablement sur l’épuisement général des forces après plus de quatre années de guerre. Nous connaissons tous les mutineries de 17 ; souvenons-nous qu’il y en eut autant, aussi sévèrement réprimées du côté allemand ! Celles de 18 n’en sont que la suite logique : un état-major allemand refusant la perspective même de la défaite ! A-t-on assez dit que des prémices de mutineries étaient également observables du côté français ? Cette histoire est aussi celle d’une génération qui sut dire non ! qui avait éprouvé dans ses chairs ce que guerre pouvait signifier d’horreurs, d’absurdités, et de défense d’intérêts marchands !  C’est celle d’hommes et de femmes qui vécurent combien la nation, arguant de ses intérêts supérieurs, toujours se fonde contre les peuples. Ils n’eurent pas d’autre réponse possible que celle des conseils, réinventant une ultime fois dans ce siècle, les formes et les rêves de cette démocratie directe tellement honnie par les institutions ! Le nationalisme ne s’en remit pas vraiment ! l’internationalisme n’y gagna pas pour autant !

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  La rapide capitulation des conseils en Alsace raconte l’itérative antienne de la trahison. Ici Peirotes, maire de Strasbourg, et qui le restera, là Ebert, toujours il se trouve des membres émérites du mouvement ouvrier pour préférer à la révolution l’ordre bourgeois. Habilement, Peirotes qui siégeait au Comité d’ouvriers et de soldats, sut les neutraliser en appelant à une entrée rapide des troupes françaises qui, de Mulhouse à Strasbourg les écrasèrent du 17 au 22 novembre. Que leur premier acte fut d’abroger les décrets des conseils (liberté de la presse, augmentation de salaires, journée de huit heures) suffit à montrer que l’ordre à rétablir était tout sauf social !

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  Le triptyque Honneur/vengeance/trahison comporte assurément une violence mimétique irrépressible. Guillaume II prompt à conclure l’armistice pour retourner son armée contre l’ennemi de l’intérieur mais refusant à la demander lui-même ; Max de Bade si inquiet des développements de la révolution des conseils qu’il annoncera dès le 9 l’abdication du Kaiser avant même qu’elle ne fût effective, et transmettra sa charge à Ebert en toute inconstitutionnalité, espérant seulement que ce dernier pût réaliser à Berlin ce que Noske réussit à Kiel : écraser le mouvement révolutionnaire en faisant mine de le diriger! Ebert lui-même qui habilement parvient, le 10, à la fois à rester chancelier et devenir membre du Conseil des Commissaires du Peuple et n’embrassera la révolution que pour mieux l’étouffer ! Les trois pouvoirs qui coexistent alors en Allemagne (le Kaiser à Spa, le chancelier et le SPD à Berlin) se ressemblent furieusement dans leur unique objectif – étouffer la révolution – dans leurs démarches – attendre que ce soit l’autre qui trahisse. La suite de l’histoire allemande tient tout entière en ceci : le vieux fantasme d’une armée invaincue doublement trahie par des civils demandant l’armistice, par l’ennemi soviétique de l’intérieur : le coup de poignard dans le dos ! Ludendorff d’abord, Hitler ensuite, en exploiteront les délices jusqu’à satiété !

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  En Alsace, il en ira finalement de même : le mouvement ouvrier peinera à s’en remettre et la France, avec maladresse sinon brutalité, pratiquera une politique d’assimilation à marche forcée qui n’en finira pas de produire incompréhension et rancœur ! On n’aura de cesse d’y vouloir biffer les séquelles des 40 années allemandes comme si elles n’avaient pas existé. On n’y parvint pas tout-à-fait : le maintien du statut concordataire et du droit local – notoirement en avance sur le droit français en matière sociale notamment – en témoignent encore aujourd’hui. La rue du 22 novembre à Strasbourg – sans mention de l’année – célèbre finalement plus l’écrasement des conseils que le retour de l’Alsace à la France ! L’Alsace-Lorraine est une histoire française – celle de la IIIe République : on n’a jamais voulu que ce fût une histoire alsacienne ! La République alsacienne des conseils - Elsässische Räterepublik- est une non-histoire, biffée par le vainqueur ! Ce refoulement a un nom :l’ordre bourgeois ; il a une forme : la bonne conscience idéologique ! Si l’alsace de l’entre-deux-guerres aura des tentations d’indépendance qui pousseront certains à se compromettre avec les nazis (comment ne pas penser à un Charles Hueber, maire et député communiste -exclu en 34- qui se ralliera aux nazis en 40 ?), celle d’après 45 aura oublié ce passé-là et s’offrira tout entière au rêve européen. Elle est en train de réaliser économiquement, avec l’autre rive du Rhin –les euro-districts – ce que politiquement certains envisagèrent après 18 !

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  Qu’on le veuille ou non, les comportements politiques sont aussi déterminés – outre le réel économique – par le contexte politique. L’alsace de 18 réagit comme n’importe quel Land allemand mais il devait bien y rester quelque chose des ultimes rémanences de 89, 48 ou 70 ! Ces quelques 15000 marins alsaciens qui de Kiel descendirent vers l’Alsace laissèrent derrière eux, comme trainée de poudre, le délicat souvenir d’un rêve qu’on éteignit pour eux, celui d’une révolution confisquée !

Cette histoire, mon grand-père l'a vécue et racontée dans ses mémoires, rédigés durant l'entre deux guerres. Emprisonné en Août 14 puis enrôlé dans l'armée dès ses 17 ans , il fut d'abord envoyé sur le front russe puis à Verdun. Il y tenta, sans y réussir, de passer de l'autre côté mais une chose est sûre c'est qu'il ne se remit jamais vraiment de la nouvelle qu'il y apprit : son jeune frère, envoyé en Suisse pour ses études en 14, s'était fait enrôler dans les armées françaises et se trouvait, lui-aussi à Verdun. L'idée même qu'il pût se trouver en face de son frère lui fut insupportable. Il tenta alors plusieurs subterfuges pour se dérober au front. Hospitalisé à Sarrebruck, il y rencontre le fils Hatt, héritier de la grande famille de brasseurs alsaciens, qui l'initie aux symptômes d'une maladie nerveuse. Il y restera jusqu'à la fin octobre 18 ! Alors, s'autoproclamant conseil de soldats, ils prennent le pouvoir dans l'hôpital et se signent à eux-mêmes leur ordre de libération. Mon grand-père rejoint Strasbourg le 9 novembre juste à temps pour voir déboulonnée la statue de Guillaume . Ainsi en est-il de tout événement historique qui réunit parmi les foules en colère autant d'enthousiastes que d'opportunistes, autant de badauds que d'acteurs. Lui n'aura jamais été révolutionnaire : il y prit néanmoins sa modeste part plus par sentiment anti-allemand que par aspiration sociale. Que les conseils se rendissent sans heurt dès le 22 aux troupes françaises illustre sans doute qu'il n'était pas le seul !

1) voir notamment ce curieux extrait d'un documentaire de la TV française des années 60 où l'on omet le nom même de cet épisode révolutionnaire mais confirme que c'est pour rétablir l'ordre que l'on appelle à une entrée rapide des troupes françaises dans Strasbourg !