Autonomie

On le sait, c'est un concept central de la philosophie de Kant. Et ce n'est pas tout à fait un hasard que ce soit ce terme que l'on retrouve dans le débat sur l'université puisqu'aussi bien l'autonomie apparaît comme ce qui ne peut pas ne pas être désiré. 1

C'est bien parce que le terme a cette connotation morale que le débat sur l'université est si facilement biaisé comme si refuser la LRU était refuser la liberté et équivalût à revendiquer le conservatisme le plus étriqué, à maintenir un système dont par ailleurs on se plaindrait! C'est oublier un peu vite que le refus de la LRU s'il peut cacher des options assez diverses, signifie d'abord le refus de cette autonomie-ci et non le refus de la liberté qui serait effectivement assez paradoxal.

Deux rappels à propos de Kant

Le criticisme

La question morale s'entend dans la perspective d'une philosophie critique qui, révolution copernicienne oblige, inverse le rapport entre le sujet et l'objet. Sortir du dilemme insoluble entre rationalisme métaphysique et empirisme trop aisément sceptique revint pour Kant à se poser la question des conditions de possibilité de la connaissance, puis de l'action. Si toute connaissance dérive de l'expérience, elle ne s'y réduit ni résume. En réalité si l'expérience sensible donne une matière aux objets de la connaissance c'est notre entendement qui leur donne une forme : les catégories.

En conséquence Kant dépasse la contradiction entre dogmatisme et scepticisme en indiquant que loin d'être la simple reproduction de la nature réelle d'un objet, la connaissance vraie est relative à la structure a priori du sujet.

«La raison ne voit que ce qu'elle produit elle-même d'après ses propres plans.»

C'est l'impossibilité d'une connaissance absolue du réel que signe Kant puisque l'a priori - pur concept de l'entendement ne fournit aucune connaissance. Rendant par là impossible toute métaphysique qui se voudrait science.

«Je dus abolir le savoir, dit Kant, pour faire une place à la croyance.»

En effet, il est désormais possible de penser comme objet de croyance ce qu'il est interdit de connaître comme objet de science: il ne faut plus croire qu'on sait mais savoir qu'on croit.

La question morale

Il est tout à fait révélateur qu'elle apparaisse entre celle de la connaissance et celle de la religion. L'ordre des quatre questions - Que puis-je savoir Que puis-je faire Que puis-je espérer ? Qu'est-ce que l'homme- qui fondent la philosophie a un sens précis : tout se ramène à la dernière qui, d'une certaine manière intègre les trois précédentes. La science n'a de sens que comme instrument de sagesse, instrument absolument nécessaire, mais instrument seulement !

Parvenir à la sagesse c'est :

une harmonisation convenable de tous les savoirs et de toutes les habiletés jointes à l'intelligence de leur accord avec les buts les plus élevés de la raison humaine.

Mais ceci signifie aussi que l'on ne peut tirer des sciences aucun fondement pour la morale. Les sciences disent ce qui est, on n'en peut tirer ce qui doit être. C'est assez dire que nous devons tirer de nous mêmes les principes de notre action. La foi, d'un autre côté, qu'elle porte sur Dieu ou la liberté ne peut être fondée rationnellement ni donc donner lieu à une doctrine d'où l'on puisse tirer des préceptes à notre action. Procéder rationnellement reviendrait à nier la liberté .

La question morale révèle au contraire notre propre liberté puisqu'elle la suppose. Tout inconcevable qu'elle soit pour la raison théorique, la liberté est la raison d'être du devoir qui sans elle n'aurait pas de sens. Kant place ainsi la question morale où elle se pose, dans l'obligation où nous sommes d'agir et donc de nous déterminer en fonction de préceptes que nous ne pouvons déduire rationnellement.

Fonder la morale sur le devoir mais le devoir sur la liberté de notre volonté c'est mettre l'homme au coeur du dispositif. Et l'on n'a pas tort de voir en lui l'origine et l'appui théorique des droits de l'homme. Que les principes de notre action ne se puissent définir ni d'en haut (Dieu) ni d'en bas (le déterminisme) illustre la position certes inconfortable de l'homme déchiré entre deux déterminismes, mais féconde en elle-même parce qu'elle se déploie en terme de liberté.

De la même manière que chez Kant, Comte lui aussi mettra en avant la nécessité d'une théorie première, d'un principe sans quoi rien n'est possible. Il n'en tirera pas les mêmes conséquences mais on en retiendra la nécessité d'un principe.

De l'autonomie au sens politique

Affirmation de la liberté elle prend aussi un sens politique bien précis : l'autonomie n'est pas l'indépendance et, force est de constater, que ce concept se pense positivement quand celle-là se pose négativement. Toujours est-il que l'autonomie renvoie en réalité à une semi-indépendance puisqu'aussi bien on désigne par là des états, des régions, des länder en Allemagne par exemple, dont le champ de détermination dont ils bénéficient est partiel, défini par la constitution du pays auquels ils appartiennent et à qui ils auront concédé certaines de leurs prérogatives - le plus souvent la politique étrangère et de défense.

Remarquons d'abord qu'il n'est pas tout à fait innocent ni anodin que cette autonomie soit concédée ou arrachée au pouvoir central. Dans le premier cas il apparaît souvent que l'autonomie ne soit que la forme fédérale d'une certaine décentralisation.

Remarquons ensuite qu'elle prend bien le sens d'auto-détermination, comme en bonne morale, puisqu'il s'y agit bien de définir par soi-même ses propres normes, c'est-à-dire ses propres lois.

Remarquons enfin que cette autonomie ne signifie pas pour autant liberté politique car enfin qu'une région fût autonome mais en même temps ditigée par un quelconque dictateur ne signifie pas ipso facto qu'elle devînt démocratique pour autant. Evidemment !

Si donc autonomie renvoie à la liberté d'un point de vue moral, c'est au pouvoir qu'elle renvoie d'un point de vue politique !

 


1) C'est d'ailleurs le sens de l'article récent de B Latour

2) les catégories

QUANTITÉ

QUALITÉ

RELATION

MODALITÉ

UNITÉ RÉALITÉ SUBSTANCE ET ACCIDENT POSSIBILITÉ IMPOSSIBILITÉ

PLURALITÉ

NEGATION

CAUSALITÉ ET DÉPENDANCE

EXISTENCE- NON-EXISTENCE

TOTALITÉ

LIMITATION

COMMUNAUTÉ (ACTION RÉCIPROQUE AGENT/PATIENT

NECESSITE - CONTINGENCE

3) sur Marx, Kant et la morale on pourra lire ceci

http://www.gilbertbereziat.fr/2009/02/23/ne-pas-baisser-la-garde-dans-l%E2%80%99application-des-reformes/#more-307