Contre-vérités

Glissements progressifs

Dans les discours qui se tiennent autour des mouvements universitaires il y a, comme de juste, quelques raccourcis argumentatifs; quelques malhonnêtetés !

Sans évoquer l'horreur d'un C Barbier1 sur LC1, on ne peut pas ne pas remarquer que derrière les critiques adressées à ceux qui refusent les actuelles réformes il y a en réalité deux dérives: du moral vers le politique puis du scientifique vers le moral

Du moral vers le politique

On ne peut pas ne pas vouloir la liberté à moins de camoufler d'ignominieuses intentions conservatrices voire mandarinales. Refuser cette autonomie reviendrait ainsi à promouvoir le maitien des rapports hiérarchiques à l'université voire - ce qui est pire - des rapports infantilisants.

C'est bien ici que Latour adoptant une posture moralisatrice avec une gourmandise qui ne prend même pas la peine de se cacher fustige des enseignants trop apeurés, si craintifs de la réalité sociale et économique, qu'ils préféreraient se calefeutrer dans une université protectrice et maternante. (Comment des intellectuels, attachés à la liberté, peuvent-ils ainsi confondre la défense de l'autonomie avec cette dépendance infantile ?) On y sent pointer l'antienne méprisante des clichés réactionnaires sur les enseignants - enfants refusant de grandir et pour ceci choisissant de rester à l'école etc...)

Ce qui lui permet un double tour de passe-passe: indiquer d'une part que refuser politiquement l'autonomie c'est faire le jeu des conservatismes les plus lourds qui empèsent l'université; en appeler d'autre part à une autonomie plus grande encore qui permettrait à l'université de se débarrasser de la tutelle du ministère et surtout de réintégrer en son sein CNRS, EHESS, Collège de France etc.

On le voit le discours est trouble qui glisse insensiblement vers le politique et n'est pas dénué d'arrière-pensées stratégiques. On le voit, ce glissement lui permet de valider a priori la réforme - en souhaitant au passage qu'elle aille plus loin - et de fustiger - en les ridiculisant- ceux qui s'y opposeraient.

C'est oublier un peu vite que les Etats généraux de la recherche ont depuis 2004 intégré la nécessité de placer la stratégie de recherche dans une perspective à la fois nationale et européenne mais souligné en même temps que si ceci ne pouvait passer que par un dispositif cohérent d'évaluation, ceci allait de pair avec une profonde réforme des statuts à la fois des doctorants et des chercheurs. Qu'ils ont, surtout, à mille lieux des frilosités réactionnaires que Latour se complaît à souligner, indiqué la nécessité d'un plan d'ensemble pour l'Université.

C'est oublier enfin la profonde originalité de ce mouvement qui non seulement voit pour la première fois depuis longtemps enseignants chercheurs étudiants et BIATOS descendre dans la rue sur des revendications communes mais surtout de le faire ensemble de manière concertée.

Le subterfuge utilisé ici est assez désarmant pour quelqu'un d'aussi versé sur l'art de la controverse : on ne gagne jamais rien à vouloir déplacer la question du côté des principes puisqu'aussi bien c'est toujours du côté des modalités que pêche le débat. Pour autant que la volonté incline naturellement vers le bien, en tout cas le mieux, la liberté ne prend son sens que sur les moyens mobilisés, choisis pour atteindre ce bien. En se plaçant ainsi du côté des principes, Latour s'oblige à devoir dénicher quelque sombre machination chez ses détracteurs comme s'ils inclinaient avec malignité vers le pire ou qu'ils fussent immatures; ce qui, convenons-en, ne vaut pas mieux .

Du scientifique vers le moral ?

L'argument utilisé par B Latour : on ne peut pas vouloir l'autonomie de la connaissance sans vouloir en même temps celle de l'institution qui la porte. Il semble imparable sauf à oublier que:

- d'abord les enseignants ne récusent pas l'autonomie en tant que telle mais les conditions de sa mise en place; les moyens qui y sont affectés et les relations de pouvoirs qui en découlent.

- ensuite la LRU ne garantit pas nécessairement cette autonomie puisqu'elle soumet l'activité des enseignants et chercheurs à des commissions ad hoc, voire à la politique du président d'Université et ne risque ainsi que de déplacer la sphère de dépendance plutôt que la supprimer.

-enfin que, dans le cadre de la loi, la réécriture du décret de 84, sous l'apparente - et bien maladroite - avancée de l'intégration de l'enseignement et des tâches administratives dans la carrière des enseignants, semble plutôt aggraver la situation que l'améliorer en soumettant les enseignants à des évaluations dont le principe est peu discutable, mais dont les modalités demeurent insatisfaisantes, pour le moins; intolérables au pire !

B Latour le reconnaît ( A moins que ce ne soit la notion même d'autonomie qui ne veuille rien dire) l'autonomie est de ces concepts tiroirs à quoi l'on peut en réalité faire dire ce que l'on veut; qu'il utilise nonobstant.

Glissement épistémologique

Latour argue que toute l'histoire des sciences atteste du contraire de l'autonomie et en appelle à l'hétéronomie. C'est, implicitement, faire allusion à Kant2 . Or, ici il y a double méprise: d'une part Latour confond (sciemment?) autonomie et autarcie ! Évidemment les sciences ont-elles, avant la lettre, inventé la mondialisation au niveau de la connaissance. De ce point de vue Internet n'a pu qu'accentuer le processus qui fait qu'effectivement désormais nul chercheur ne peut se prévaloir d'une quelconque avancée sans partir de ou au moins tenir compte de ce qui se dit pense et argue ailleurs - dans ce qu'on nomme désormais communauté scientifique.

Mais il y a bien autonomie de la science en ce qu'elle ne peut se déployer qu'à l'écart, dans le laboratoire et ce à la fois pour des raisons méthodologiques - la nécessité de l'expérimentation - et pour des raisons épistémologiques - la nécessité de se départir de toute tentation technicienne, finaliste. Il y a bien autonomie de la recherche scientifique dans la mesure où elle exclut de ses démarches toute norme pratique, de rentabilité ou sociale, où elle n'obéit qu'aux seules règles de la raison, de la preuve.

C'est ici confondre autonomie de la recherche et autonomie du chercheur qui, lui, effectivement, est nécessairement citoyen, fonctionnaire ou salarié et, en tant que tel, soumis à des normes tant sociales, économiques qu'éventuellement politiques, sans compter évidemment ses propres contraintes personnelles.

Mais ce glissement lui permet d'en appeler à l'hétéronomie jusque et y compris pour la recherche. (Peut-être serait-il temps de défendre " l'hétéronomie " des savoirs) faisant ici encore implicitement référence à Kant. Sauf à considérer que le terme2 possède chez ce dernier une connotation déterministe qui empêche toute morale parce que toute liberté.

Les universitaires ont tellement perdu le goût de la liberté

D'où derechef la glissade vers la remontrance morale ! Comme si refuser cette réforme équivalait nécessairement à un aveu de servilité !

Non décidément Monsieur Latour on ne peut s'en tirer si aisément en se payant sur la bête. En fin dialecticien vous auriez pu, certes, voir dans cette crise une opportunité - celle d'une Université qui s mobilise et tente de penser sa mission; vous n'y voyez que des universitaires veules ! Nous n'avions pas besoin de ce sermon à l'emporte-pièce ! Non plus que de ce cliché usé jusqu'à la corde : mieux vaut une autonomie avec risque que pas d'autonomie du tout !

 


1) à réécouter

2) Fondements de la métaphysique des moeurs Kant

Il n'est maintenant plus surprenant, si nous jetons un regard en arrière sur toutes les tentatives qui ont pu être faites pour découvrir le principe de la moralité, que toutes aient nécessairement échoué. On voyait l'homme lié par son devoir à des lois, mais on ne réfléchissait pas qu'il n'est soumis qu'à sa propre législation, encore que cette législation soit universelle, et qu'il n'est obligé d'agir que conformément à sa volonté propre, mais à sa volonté établissant par destination de la nature une législation universelle. Car, si l'on ne le concevait que comme soumis à une loi (quelle qu'elle soit), celle-ci impliquerait nécessairement en elle un intérêt sous forme d'attrait ou de contrainte, parce qu'elle ne dériverait pas comme loi de sa volonté, et que sa volonté serait forcée conformément à la loi par quelque chose d'autre, à agir d'une certaine manière.
Or c'était cette conséquence de tout point inévitable qui faisait que tout effort pour trouver un principe suprême du devoir était perdu sans retour. Car on ne découvrait jamais le devoir, mais la nécessité d'agir par un certain intérêt. Que cet intérêt fût un intérêt personnel ou un intérêt étranger, l'impératif affectait toujours alors nécessairement un caractère conditionnel et ne pouvait en rien être bon pour le commandement moral. J'appellerai donc ce principe, principe de l'AUTONOMIE de la volonté, en opposition avec tous les autres principes, que pour cela je mets au compte de l'HETERONOMIE.