Traître

Quelques leçons sur la trahison

Celui qui quitte votre parti pour aller dans un autre est un traître. Celui qui vient d'un autre parti pour rejoindre le vôtre est un converti."
Georges Clemenceau

Lors d'une récente émission l'expression utilisée par A Kahn de besson moyen oblige à se poser la question de la trahison. Même s'il est vrai qu'il a regretté depuis cette expression pour ce qu'elle pouvait supposer d'attaque ad hominem, il n'empêche qu'elle amène à réfléchir à ce qu'est un traître et le doublon qu'il compose si aisément avec l'otage.

Je ne suis pas un Besson moyen , on ne me prend pas en otage !

C’est l’expression utilisée par A Kahn dans sa dernière interview sur France 3. Très joli concept si l’on y regarde de près ! Besson est évidemment la figure tutélaire du traître : de celui qui, sans armes mais avec bagage file dans l’autre camp ! Mais que serait un Besson supérieur voire inférieur puisqu’assurément il en est de moyen ?

Le miracle Besson

besson Je ne suis pas convaincu que l’homme vaille un commentaire ; son parcours, si ! Ce conseiller économique, plutôt discret, se fit connaître par son lâchage en rase campagne électorale en 2007 ! 1
Soyons clair : qu’un homme change d’opinions, n’est-ce pas, après tout, légitime, surtout quand il s’agit d’opinions ? Que l’homme glisse insensiblement vers la droite … après tout il en fut tellement et si peu qui glissèrent plutôt vers la gauche ! Non, c’est assurément la manière et le moment qui retinrent l’attention ;
En pleine campagne - en rase campagne si je l’osais ! - avec un côté si tu ne m’aimes pas … je te trahis qui frôle le ridicule ! Qui se souvient du qui connaît M Besson à quoi répondra plus tard un Qui connaît Mme Royal ?

Mais le miracle est ailleurs encore : dans la signification de son nom 2 ! Cet homme-là possède la tête et le nom du double ! il est ce qui fait le plus peur ! On le voit ici impérial à défaut d'être impérieux, il s'est fait une tête de traître !

Il y a toujours quelque chose de honteux à se saisir du physique pour en tirer quelque connotation morale : l'imputation y est vide, vite scandaleuse. On se souviendra ainsi de cette perfidie d'un scribouillard de droite dont j'aime à taire le nom qui ne trouva rien de plus vil à proférer à la mort de Sartre que ce la bassesse de sa pensée se déduit sans conteste de sa petite taille et de sa cécité.

L'inverse n'est pas nécessairement vrai qui touche alors à ce que Sartre nommait la mauvaise foi. Si l'habit ne fait pas le moine, le moine en revanche ... Non qu'il faille nécessairement y soupçonner la duplicité de qui contreferait son rôle mais en tout cas la consommation de signes en dit long sur notre époque.

Barthes s'y était essayé à propos de l'abbé Pierre dans les Mythologies, mettant en évidence l'inflation de signes que la figure véhiculait comme pour mieux faire reconnaître sa posture.

bessonJ'ai, à ma grande honte je l'avoue, toujours goûté les personnages cliché de Walt Disney pour ce que les méchants y ont de vrais têtes de méchants et les gentils itou de vrais têtes de bonté niaise. Celui-ci, il faut dire, dans ce sérieux compassé de l'expert survolant la fatuité du politique, a véritablement atteint des sommets . Tout sauf sympathique, tout sauf enclin à susciter ou exprimer quelque sentiment que ce soit, l'homme a tout de la roide raison se déprenant de toute passion. C'est peut-être en ceci qu'il est exemplaire : comme si raison et passion ne pouvaient que pencher en sens contraire et que suivre l'une, fût nécessairement trahir l'autre.

Homme déchiré ? encore eût-il fallu qu'il fût homme de passion !

Et pourtant ! Quelque chose dans ses confessions fielleuses laisse percer les gémissements de l'amoureux transi et détrompé :

De la trahison

Qu’est-ce que trahir finalement ? Passer à l'ennemi ? Virer de bord en changeant d'opinion ? Alain a écrit là-dessus une belle page où force est de constater que le préjugé s'appuie sur des passions - orgueil, paresse voire fidélité. Où il vit, du reste, le fondement du fanatisme. C'est que, sans doute, entre fidélité et trahison, il n'est pas tant de différence que cela ou qu'elles ne fussent que l'envers et l'avers d'une même réalité.

Le traître c'est celui qui franchit les lignes ! LA ligne.

Celui qui ne se contente pas de changer de camp mais au contraire se retourne activement contre le sien mettant au service de ses nouveaux amis la connaissance qu'il possède des atouts de ses anciens !

L'exemple de Coriolan

coriolanDe ce point de vue c'est sans doute Coriolan qui est le plus emblématique ! Général romain poussé à l'exil, il s'en va trouver refuge chez ceux-là mêmes qu'il avait battus et dont il avait pris le nom de la ville. Se retournant contre Rome qu'il assiège, il refusera toute ambassade, hormis sa mère et sa fille. Qui sauront lui parler mieux que les ambassadeurs puisqu'il renoncera, après les avoir entendues, à attaquer Rome !

Coriolan a tout du double ! Qui est-il à la fin ? Ce grand général romain qui prit Corioles? ou un général volsque cherchant à se venger ? Un grand homme qui eût du mériter la reconnaissance de la patrie mais se voit cependant condamné ( à contumace) par les tribuns de la plèbe ? Décidément en tout traître il y a un passionné déçu, un amant trompé, quelqu'un qui trompe parce qu'il s'est senti trompé ! La trahison est toujours la réponse à une trahison - réelle ou supposée - première. Le traître ne se ressent pas tel mais seulement homme à tirer les conséquences d'une félonie initiale. 3

C'est la première leçon : le traître c'est toujours l'autre.

Qu'a-t-elle donc dit cette mère qui poussa Coriolan à renoncer ? Elle fut la seule, contrairement aux ambassadeurs, à ne pas lui demander qui il était, ami ou ennemi, romain ou volsque; la seule à lui dire quoi que tu fasses, que tu gagnes ou perdes, moi je vais perdre, en tant que mère ou en tant que romaine.

Ami ou ennemi - hostis ou hospitis - comment mieux comprendre que la trahison ne s'entend qu'au nom d'un lieu, d'un territoire, calfeutré derrière une frontière. que s'effacent ces frontières, qu'elles deviennent floues, et la trahison n'a plus de sens ! C'est exactement le chemin qu'emprunte le traître ou le fourbe : croire, se persuader et tenter de nous convaincre que ces frontières n'existent plus, ou de nous en convaincre. Nous faire croire que tromper ou se tromper serait tout un !

enlèvement des sabinesToute l'histoire romaine tient en ceci : dans ce jeu très ambigu entre l'ouvert et le fermé, entre la ligne et le liquide. Amis quand ils invitent les tribus voisines à la fête de Neptune; ennemis quand ils enlèvent les Sabines. Rome, ville nouvelle, trop faible pour se priver des autres, ne peut néanmoins s'affirmer qu'en les circonvenant. La traîtrise est donc bien une affaire non point tant d'identité que de dialectique où l'affirmation de soi passe nécessairement par la reconnaissance en même temps que la négation de l'autre, par l'ouverture et la fermeture de la ligne.

C'est sans doute pour cela aussi que les origines romaines sont à la fois aqueuses et gemellaires. L'histoire ne semble pouvoir débuter que dans l'ambivalence du double et ne se poursuivre que par la sortie de l'indifférenciation ... même, et surtout, si cette sortie équivaut à l'élimination du jumeau quoique cette élimination trouve toujours à être démentie par la légende ( Un Rémus retrouvé à Reims - pour recommencer une autre histoire; un Coriolan mort tardivement dans l'oubli .... )

C'est la deuxième leçon : la traîtrise est toujours originaire

Même si elle argue d'une trahison antérieure. Tout ceci se perd dans la nuit des temps ou les eaux troubles du fleuve. Mais parce qu'elle est originaire elle peut en même temps être fondatrice ! Car passer la ligne, c'est en même temps la consacrer; la tracer. Le véritable fondateur de Rome, c'est Rémus ! L'essence même de la rupture sarkoziste, c'est Besson !

Alors on comprend mieux la distinction possible entre un traître supérieur, inférieur et moyen !

pétainde gaulleLe traître supérieur c'est bien celui qui non seulement franchit la ligne mais oblige l'autre, l'ennemi, le double à se définir par rapport à soi, au point de prendre sa place! Qui glisse de la posture d'usurpateur à la stature du commandeur

Bel exemple de gemellité que celle de De Gaulle et Pétain de ce point de vue ! L'un traitant l'autre de traître à la patrie, se condamnant réciproquement à mort ! L'un et l'autre furent fondateurs dans le reniement de ce qui précéda : la république ou la francisque ! Le traître supérieur c'est celui qui interdit toute réconciliation, qui partage le monde en deux ! Le comble de la dénégation fut fort habilement pour de Gaulle de nier même l'existence de ce qui précéda !

C'est dire que le traître supérieur c'est celui qui gagne, qui l'emporte, qui emporte tout avec lui au point d'inverser les rôles et de pouvoir désigner l'autre comme traître et s'ériger en héros. Le traître supérieur n'est traître que tant qu'il n'a pas gagné !

Le traître inférieur c'est celui qui, certes, franchit la ligne, mais ne parvient à se définir que par rapport au double qu'il vient de rejoindre! Il se fait voler son identité, il n'est plus que celui qui a trahi, que l'on oublie et qui se tait ! Judas que l'on finit par oublier et qui ne fonde rien; Coriolan sans doute aussi ; Besson enfin qui rallie l'UMP mais dont on a difficulté à distinguer l'originalité de la démarche. Il n'est plus homme de gauche passé à droite; il est homme de droite ! Un transfuge, quoi !

Celui-ci reste traître; A jamais. Une figure que l'on honnit ! Dont on se sert parfois ... comme repoussoir; contre-exemple ! La figure même de celui qui a perdu !

Le traître moyen c'est celui qui, par entrisme, fait mine d'être d'un camp, pour espionner l'autre ! C'est celui qui reste au milieu du gué, sur la ligne elle-même qu'il fait mine de traduire quand en réalité il la trahit ! Le traître moyen c'est, au fond, celui qui nous fait croire que la ligne n'existe plus, qu'elle n'a plus de sens et qui pour cela balaie tout sur son passage ! Avec lui on ne sait jamais où l'on en est car il mélange tout : réforme et régression; action et langue de bois; gauche et droite ...

Sarkozy ressemble à s'y méprendre à une telle figure : qui mieux que lui sut citer Jaurès pour vanter la démarche la plus libérale qui soit; sut vanter les mérites du travail pour mener le plus grand travail de casse sociale qui soit ; vanter le gaullisme pour installer l'américanophilie la plus entêtée qui soit; qui en appelle à la refondation du capitalisme pour prôner la démarche la plus monétariste qui soit !

Celui-ci est sans doute le pire, qui trahit tout le monde, quand l'inférieur ne trahit que lui-même; et le supérieur que l'autre ! Lui occupe cet espace ambivalent où l'on gagne et perd toujours.

Celui-ci n'est ni d'un côté, ni de l'autre : à califourchon sur la ligne. Il est moyen parce qu'il est au milieu et occupe la place de l'intermédiaire. J'aime à me souvenir que l'allemand dit Mittel à la fois pour ce qui est moyen et milieu parce que, précisément, c'est autour de cette médiation que se joue la trahison. Se souvenir toujours, néanmoins, que cette position demeure transitoire : le moyen à terme bascule toujours ! Souvent inférieur ! Parfois, rarement, supérieur .

Le traître est l'antonyme du héros ; pas du féal !

Troisième leçon : car il est un lieu où l'on gagne toujours; où l'on perd toujours !

Ainsi, cet épisode en dit long sur le destin des femmes qui perdraient de ceci seul qu'elles joueraient sur deux espaces en même temps, il en dit tout aussi long sur tous ceux qui franchissent les lignes. Il est bien une position où l'on gagne à tous les coups - les Romains n'ont cure de qui gagne à l'intérieur de l'arène, eux gagnent toujours à l'extérieur !

Judas a gagné qui a conquis une postérité évidente sur son successeur en dignité apostolique dont tout le monde a oublié le nom ! Judas ne fonde rien; il est l'antipode; l'antéchrist; la figure même que l'on doit délaisser ! Il n'existe que dans la tête du chrétien, comme figure tutélaire du mal, de l'infidélité ! Il est ce contre quoi il faut se définir ! A ce titre il a son importance, mais lui qui a nié ne vaut plus que parce qu'on le nie à son tour !

C'est bien tout l'opposé du supérieur qui contraint tout le monde à se définir par rapport à lui-même ! Pour longtemps De Gaulle obligera la gauche à se définir par rapport à lui faisant mise de transgresser tous les clivages ! De Gaulle a franchi la Manche mais c'est bien pour revenir plus tard ! Il quitte derechef le pouvoir en 46 mais c'est bien pour revenir en 58! Besson, lui, est parti mais ce n'est pas pour revenir. Dehors ou dedans, qu'importe ! Il est désormais de l'autre côté ! Il a déjà perdu !

Car, oui! celui qui gagne c'est celui qui demeure sur la ligne, qui réussit la gageure de rester à la fois dedans et dehors; qui joue sur plusieurs registres à la fois ! De Gaulle peut perdre en 69 mais son régime lui survit ! Rome peut tomber, les royaumes qui s'édifient sur ses décombres sont de culture, de droit romain, de religion chrétienne même si hérétique dans un premier temps ! Thiers quitte Paris en 70 mais c'est pour mieux revenir en 71, triomphant sur les décombres de la Commune ! Il s'appuie sur les conservateurs et les monarchistes mais la république lui doit tout ! La leçon a été bien apprise que Machiavel a relayée !

Mais cette position est dangereuse : à califourchon, celui qui s'y maintient peut tout aussi bien perdre toujours ! Ce qui fait que les choses subitement s'emmanchent mal qui vous réussissaient hier ? Comment savoir ? Je puis juste avancer que ceci est le propre de chaque politique qui ne peut se déployer sur de telle posture qu'en dépensant un maximum d'énergie, d'entropie !

Au même endroit, à califourchon ceux qui perdent toujours : c'est cela que proclame la mère de Coriolan ! Que ce soit en tant que femme ou en tant que mère, il y aura toujours une part d'elle qui sera défaite. Pour jouer sur deux tableaux à la fois, femme et femme, pour être en même temps ce qui inquiète et rassure, ce qui menace et promet, force est de constater que dans l'histoire toujours les femmes auront perdu et parfois même de cela qu'on les reconnût essentielles. Il suffit de regarder ces cultures où donatrices d'identité elles sont muselées et surveillées pour leur importance même.

Comment passe-t-on de l'un à l'autre alors même que l'on occupe le même espace ? C'est ici que la crise mimétique prend tout son sens.

La trahison est comme la crise mimétique, originaire, mais elle est précisément ce qui permet d'en sortir. N'oublions jamais que la crise désigne un passage. La décision que l'on prend et qui permet de sortir de l'indistinct, du flou. La trahison est donc un mouvement, jamais un état; une action pas une stature. Elle est l'acte de la sortie, le moment de la décision.

Quatrième leçon: ce milieu où il n'est question que de parole !

Tout ce qui est entre est riche de sens : interdire, interposer, entreprendre, entretenir ... Parce que l'on se trouve encore dans l'indécision. Ce que Girard a montré est que la ressemblance, l'ambiguité est toujours source de conflit; qu'en sortir revient toujours à fixer au désir un objet différent, extérieur. Ce que traduit tout aussi bien la gemellité de Romulus et Rémus, la fraternité de Moïse et Aaron, le nom même de Coriolan. Celui qui perd, c'est celui que l'on désigne comme victime sacrificielle; celui qui l'emporte c'est celui qui parvient à canaliser la violence mimétique vers cette victime sacrificielle.

Romulus gagne parce qu'en traçant la ligne, ce sera désormais lui qui fixera la règle que l'autre n'aura d'autre loisir que de respecter, et donc disparaître; ou de récuser et donc mourir. Et, sans doute, les femmes perdent-elles si souvent, parce que ne pouvant qu'occuper une place double, elles demeurent victimes des hommes qui, eux, en plus ont le pouvoir de la parole.

Car enfin, pour pouvoir désigner l'autre à la vindicte publique, encore faut-il avoir la parole ! A cette place, où l'on s'entre tient, l'on interdit également. Cet entre est celui de la communication, de l'échange. Du passage. Que l'espace soit ouvert et il se fait passeur; qu'il soit fermé et il devient otage. L'otage désignait initialement le lieu où résidait celui que l'on gardait comme gage, garantie de l'exécution d'une promesse. Il est aussi celui que l'on détient !

Très intéressant, dans la formule d'A Kahn que pour récuser la position de Besson, il utilisa le terme otage. L'otage est d'abord un hôte ! Celui que l'on accueille, sauf qu'il est ici contraint et forcé ! L'otage se tait, muselé, et l'on va parler pour lui. L'otage est un perdant ! S'il parle c'est qu'il s'est enfui, ou bien que sa parole serait serve! Dans le premier cas il devient héros ! Sinon victime et comme tous les prisonniers, soupçonnés de n'avoir pas tout fait pour s'échapper.

On remarquera que Rémus, en revanche, est le grand silencieux ! C'est pour cela qu'il perd ! Qu'Aaron ne fait que répercuter la parole mosaïque qui bégaie ! Elle est doublure d'une doublure. Si elle est fidèle elle devient transmission, traduction. Dans le cas contraire trahison.

En réalité cette position mitoyenne est celle de l'ange, de ce messager qui transmet, qui traduit. Traduttore, tradittore nous connaissons tous la formule. Vieux refoulé du traducteur, elle est aussi la perspective ou le risque de tout messager. Qu'il ne soit que l'intermédiaire facilitant le passage alors il sera symbole ! Qu'il joue son propre jeu ou ne respecte pas son commettant alors il devient diable !

Oui, c'est bien de parole dont il est question dans la trahison ! De celle qu'on prend, ou perd; de cette qu'on rapporte ou que l'on celle. Celui qui la cache est, étymologiquement, hypocrite ! Acteur sans doute, manoeuvrier peut-être mais traître assurément !

Il peut sembler outrancier de vouloir dénicher le traître sous le politique ! En réalité non puisqu'effectivement la place qu'il occupe est, ou bien celle supérieure, de celui qui arrache la parole et fonde un nouvel ordre; celle du héros; ou bien celle, inférieure, de l'otage réduit au silence et qui n'a plus d'autre légitimité que de transporter la parole de l'autre; ou bien enfin, celle du moyen, de cet intermédiaire messager et funambule, prompt à tomber de ci ou de là !

Mais comprenons bien que ce moyen-là ne saurait être que transitoire : il n'a de choix qu'entre le sublime ou la honte ! C'est le destin de tout médiateur !

Cinquième leçon : le politique est tacticien volubile; le traître tacticien taciturne!

C'est bien une leçon importante que de voir combien cela ne marche pas à tous les coups ! Mais qu'en réalité ce sont les mêmes processus et la même place qui déterminent l'échec ou la réussite. Car finalement, quelle différence peut-il bien exister entre la manoeuvre, l'habileté d'un côté, et la trahison de l'autre ... sinon la défaite ?

Car contrairement à une idée reçue, la manoeuvre n'est efficace que quand elle est visible; et la traîtrise efficiente également ! Qu'importe le traître si on le reconnaît pas tel ? Pour fonctionner, pour fonder il faut que la transgression soit visible et reconnue, sinon elle ne pourra jamais légitimer la transaction du contrat social ! Girard a montré combien toutes les fondations s'appuient sur une crise mimétique et ne peuvent se réaliser que par le sacrifice d'un des jumeaux ! Rémus disparaît, Moïse meurt devant la Terre promise mais Aaron lui y entre ; De Gaulle efface Pétain des tables de la loi ... Le technicien croit naïvement que outils et ruses lui garantiront la recette; le politique, lui, parie toujours un peu sur l'avenir; il se paie sur la bête, sur le sacrifié ! Mais il sait que ce dernier, sacralisé, peut demain tout emporter avec lui !

Le politique peut perdre, il le sait ! Il tente néanmoins ! C'est ce qui fait sa grandeur. Je crois bien que tout politique est un traître en puissance ! Le seul loisir qui lui reste est d'être un besson moyen, inférieur, supérieur !

Morale : aimons les traîtres

A sa façon, le traître représente sans doute le fond même de la tragédie ... peut-être en est-il même l'essence 4. Que l'on considère Judas, Iago, Coriolan ou même Besson, tous traduisent la même fatalité ! Qu'il est impossible de se maintenir longtemps sur la ligne sans basculer, et que sans doute, la parole ne se peut tenir longtemps sans s'effondrer ou se trahir !

Il faut aimer les traîtres : repoussoirs ou non, ils nous aident à croire que les lignes peuvent s'effacer, au moins bouger ; c'est en ceci qu'ils sont politiques !

Retour au Président

Présider c'est se tenir devant ! C'est précisément, par honneur ou courage, vouloir affronter la ligne et donc se tenir dessus. Celui qui préside prend les coups; à l'occasion en donne.

Ce qu'A Kahn dit et rappelle sur les ondes, c'est à la fois la fidélité à son programme et son appartenance à la gauche ! Ce qu'il revendique, c'est de n'être pas traître même si, pour partie, il approuve la LRU ! Position assurément difficile puisqu'elle le condamne à ne critiquer que le contexte, les conditions de mise en oeuvre de la LRU pas la loi elle-même !

Il occupe bien, au delà de toute radicalisation et tout manichéisme, une position mitoyenne! Parce qu'il parle il ne saurait être otage ! Mais, encore une fois, cette position ne saurait être définitive !

Que le pouvoir se raidisse, il lui faudra bien pencher d'un côté ou de l'autre ! A moins de parvenir à donner un sens nouveau à cette loi; de l'imposer; et d'en être le héraut !

Assurément, nous n'avons pas fini de l'entendre !


1) voir article de Libération

2) sur la signification de Besson : voir

3) Tel Besson s'estimant lésé par l'impréparation, l'impéritie de son propre camp : "Pourtant jusqu'à ma démission, j'ai été un artisan loyal de sa campagne, je me forçais à avancer en dépit de ce que je constatais, j'ai vu la brutalité, j'ai vu l'impréparation. La désinvolture. J'ai vu la démagogie ." Qui connaît Mme Royal ?

4)Jean-Jacques Pollet, Jacques Sys (dir.) Figures du traître : les représentations de la trahison dans l'imaginaire des lettres européennes et des cultures occidentales

Presses de l'université d'Artois, 2008, 200 p.

Présentation de l'éditeur:

Le mal, insondable, incompréhensible, scandaleux, a de multiples visages, l'un d'entre eux étant celui de la trahison, dont Judas Iscarioth représente, dans l'imaginaire occidental, l'archétype.
Mais au-delà de celui qui " livre " ou " vend " l'ami, la trahison met en jeu un processus de défiance, qui affecte l'intimité profonde de l'individu en le rendant incapable d'assumer une relation. Il y a là quelque chose d'inexplicable qui vient hanter la littérature, les arts, la philosophie, l'historiographie de toute la culture occidentale, de Judas à Iago, de l'atmosphère de Joseph et ses frères aux Frères Karamazov, des petites lâchetés quotidiennes qui peuplent les romans de Simenon jusqu'aux hautes trahisons des mondes tragiques de Racine et de Corneille.
Il y a trahison lorsque quelque chose fait défaut, que ce soit nos sens, notre intellect, notre volonté... et à chaque fois nous réintroduisons dans le monde, nous " inaugurons " comme le dit Paul Ricoeur, une forme nouvelle de la perversité et nous remettons en cause la capacité d'échange en privilégiant le retour sur soi, le retrait dans les zones les plus sombres de l'âme et de ses complaisances.
Le sort de Judas, qui va se pendre après avoir jeté les trente deniers sur les marches du temple, est emblématique d'un phénomène profond et certainement mystérieux qui faisait dire à Péguy : " le véritable traître est celui qui vend sa foi, qui vend son âme ".

Éloge de la trahison : lire

 

κρισις, εως (η) Ι action ou faculté de distinguer || II action de séparer, d'où dissentiment, contestation: περί τίνος, sur qqe ch.; d'où lutte; particul. contestation en justice, procès || III action de décider, d'où: 1 décision, jugement; particul. jugement d'une lutte, d'un concours; d'où concours, décision judiciaire, jugement, condamnation || 2 ce qui décide de qqe ch., issue, dénouement, résultat (d'une guerre) [R. Κρι, choisir, trier; cf. lat. cribrum et cerno].