Hybris

De la démesure

NémésisMême s'il est vrai que la notion de péché est étrangère à la pensée grecque, il n'empêche que l'hybris représente la faute absolue qu'un homme, un système, une société puisse commettre. La sanction ? C'est Némésis qui l'inflige en ramenant le fautif à sa part de destin, de moira.

Le destin pour un grec n'est pas tant un parcours tout tracé que chacun devrait suivre pas à pas que cette part d'heur et de malheur, de réussite et d'échec formant le lot de chacun. L'hybris c'est le fait d'en vouloir plus, d'échapper à ce lot jusqu'à la démesure. La némésis alors représente moins la destruction que le fait d'être ramené à son lot ordinaire.

On y peut voir la conception antique d'un homme si inférieur au monde et au temps qu'il ne peut trouver à bien vivre qu'en s'y soumettant. Le stoïcisme y trouvera l'un de ses fondements, évidemment.

A l'inverse on pourra considérer que la modernité commence justement au moment de l'insurrection de l'homme contre le monde, une insurrection cette fois-ci considérée non plus comme un pché originel d'offense à Dieu ou aux dieux mais au contraire comme l'acte séminal d'affirmation de soi.

A ce titre Némésis et Hybris forment bien un couple tragique, une incontournable tentation où sse joue notre histoire. Si la morale du juste milieu en est l'un des pendants, la tentation prométhéenne en est l'autre. Ce qu'affirme Nietzche en exhaussant l'homme de volonté, prompt à braver les contradictions du monde qui au contraire d'une morale de consolation dans les arrières-mondes se comporte en héros excessif inventant à mesure de ses bravades la morale qui lui sied.

Le mot 'dionysiaque' exprime un besoin d'unité, un dépassement de la personne, de la banalité quotidienne, de la société, de la réalité, franchissant l'abîme de l'éphémère; l'épanchement d'une âme passionnée et douloureusement débordante en des états de conscience plus indistincts, plus pleins et plus légers; un acquiescement extasié à la propriété générale qu'a la Vie d'être la même sous tous les changements, également puissante, également énivrante; la grande sympathie panthéiste de joie et de souffrance, qui approuve et sanctifie jusqu'aux caractères les plus redoutables et les plus déconcertants de la Vie: l'éternelle volonté de génération, de fécondation, de Retour: le sentiment d'unité embrassant la nécessité de la création et celle de la destruction
Nietzsche Fragments 1888

Ce que représente Dionysos, c'est l'autre dimension de l'homme, ni plus vraie ni plus fausse que l'autre, seulement celle qui avec la première forge la complexité, la contradiction humaine. La sagesse dionysienne c'est le refus, la bravade, cet excès qui vous fait vous prendre pour un dieu ! Destructrice sans doute, violente assurément elle est bien l'envers de la sagesse apollinienne qu'elle ne nie pas, ne détruite pas non plus. Sans doute trouve-t-elle son expression dans la grande tentation prométhéenne qui à sa façon résume notre histoire. Prométhée est puni : il a franchi la ligne ! il souffrira tragiquement mais cette souffrance est aussi ce par quoi l'humain conquiert son être, son histoire.


on lira notamment :

1) Mythe de Prométhée et démesure

2) Antigone

3) l'utopie : démesure politique

4) A Kremer-Marietti La démesure chez Nietzsche