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Pascal Sevran, ses phrases, ses amis
LE MONDE | 16.12.06 | 14h30  •  Mis à jour le 16.12.06 | 14h30

Tous les mois de janvier, depuis l'an 2000, Pascal Sevran publie un nouveau tome de son journal, chez Albin Michel. Lorsque paraît Le Privilège des jonquilles, en janvier 2006, nul ne s'émeut des propos que l'écrivain, surtout connu pour son émission de chansons sur France 2, tient sur la famine au Niger et qui provoqueront une polémique d'ampleur.

Seul, dans Le Monde 2 du 31 janvier, Jean-Michel Normand chronique le livre de façon sévère et relève les "considérations nauséabondes" que ce sujet inspire à l'auteur, sans les reproduire. "Les coupables sont facilement identifiables, ils signent leurs crimes en copulant à tout va. La mort est au bout de leur bite. Ils peuvent continuer puisque ça les amuse. Personne n'osera jamais leur reprocher cela, qui est aussi un crime contre l'humanité : faire des enfants, le seul crime impuni", écrit Pascal Sevran.

Et puis, rien. Silence total des politiques, des associations de lutte contre le racisme, de France Télévisions, des autorités de tout poil. On compte, entre fin novembre 2005 et fin janvier 2006, une quarantaine d'articles de presse, d'émissions de radio ou de télévision, qui rendent compte du livre, ou s'intéressent à la carrière audiovisuelle de Pascal Sevran. On rend hommage à son style, qui s'inscrit dans la lignée de ses maîtres en littérature, Berl, Jouhandeau, Chardonne, Léautaud, comme cela fut écrit dans ces colonnes en mai 2004, et dont les lignes sur la natalité en Afrique ne donnent qu'une piètre et fausse idée.

On relève dans la presse son amitié pour "Bertrand D.", Bertrand Delanoë, le maire socialiste de Paris, ou son enthousiasme nouveau et débordant pour "Nicolas S.", le président de l'UMP, Nicolas Sarkozy, lui qui fut un thuriféraire de François Mitterrand. La presse se régale aussi des anecdotes qu'il livre sur les people. Et oublie le reste.

Jusqu'à ce qu'un journaliste de Nice-Matin, chargé de la rubrique télévision et médias, lise le livre, à titre personnel, pendant l'été. "Quand j'ai découvert ce paragraphe, j'ai bondi. Sevran connaît très bien le sens des mots. C'est tout sauf un idiot, observe Lionel Paoli. J'ai attendu qu'il vienne à Marseille pour sélectionner des jeunes chanteurs et chanteuses, dans le cadre de son émission "Entrée d'artistes". Je lui ai dit que je voulais un entretien assez long."

Cette interview, publiée le 2 décembre dans Nice-Matin, Var-Matin et Corse-Matin, déclenche, onze mois après la parution du livre, une tornade. L'écrivain ne s'excuse ni ne se déjuge. "Si des gens bien au chaud dans leurs certitudes ne supportent pas d'entendre ça, eh bien que les choses soient claires : je les emmerde ! Oui, il faudrait stériliser la moitié de la planète", répond-il dans cet entretien.

France Soir, à son tour, s'empare du sujet en barrant sa "une", le 6 décembre, d'un "Heil Sevran". Le rédacteur en chef de France Soir, François Mattei, admet qu'avec le salut hitlérien, "on a fait gros, peut-être trop gros". "Mais je ne regrette pas, parce que, au bout du compte, les idées qu'il répand sont tueuses. Il a une énorme audience grâce à la télévision. Ce qu'il dit a des conséquences", ajoute-t-il.

Choqué, quelques mois auparavant, des propos légers tenus par Pascal Sevran sur le tourisme sexuel, dans l'émission de Marc-Olivier Fogiel - "Marco" dans les livres -, M. Mattei avait été tenté de réagir. L'interview dans Nice-Matin l'incite à taper fort. "Ces gens considèrent comme un droit de pouvoir tout dire. Chez Morandini, sur Europe 1, cette histoire faisait beaucoup rire. Il y avait un vrai sentiment d'impunité. Il ne supporte pas la discrimination envers les homosexuels et, lui, se permet tout. Ce statut de vache sacrée m'énerve", dit-il.

Le ministre de la culture, Renaud Donnedieu de Vabres, réagit, lui aussi, vivement, le 8 décembre, qualifiant les propos de "scandaleux, inadmissibles et racistes". S'il ne le dit pas publiquement, le ministre s'étonne du silence de France Télévisions et s'assure que ses déclarations ont bien été transmises à la direction des chaînes publiques. France 2 attendra le 11 décembre pour infliger "un sévère avertissement", par écrit, à son animateur.

La veille, dans Le Parisien, Pascal Sevran s'était excusé, mais il avait prôné "un véritable contrôle des naissances comme les Chinois l'ont fait". Ce n'est que le 12 décembre que le président de France Télévisions, Patrick de Carolis, envisage l'éventualité d'introduire une clause dans les contrats des animateurs, leur imposant "le respect des valeurs et de l'éthique de la télévision publique". Vendredi 15 décembre, il s'est engagé à recevoir le président du Conseil représentatif des associations noires (CRAN), Patrick Lozes.

M. Donnedieu de Vabres s'étonne du silence des poids lourds politiques : aucun chef de parti n'a réagi, avant que la polémique ne prenne des proportions importantes. "Une saloperie, c'est une saloperie, il y a des solidarités déplacées", assurait-il au Monde. Seul le président de l'UDF, François Bayrou, candidat à la présidentielle, a jugé, le 12 décembre, que l'avertissement infligé par France 2 était "le minimum minorum de ce qu'on pouvait faire".

Au PS, si les amis fidèles de Pascal Sevran, Jack Lang et Bertrand Delanoë, ont juré, la main sur le coeur, qu'il n'est pas raciste, le premier secrétaire du parti, François Hollande, a pris l'affaire de façon assez politicienne, en moquant les "amis" peu recommandables de Nicolas Sarkozy. Quant à ce dernier, qui se fait fort de réduire l'influence du Front national, il n'a pas dit un mot de cette affaire.

Elle est désormais dans les mains de la justice, après les plaintes des associations de lutte contre le racisme.

 

Béatrice Gurrey
Article paru dans l'édition du 17.12.06