«Une tentative néocléricale»
Jean Bauberot, titulaire de la chaire d’histoire et
sociologie de la laïcité à l’Ecole pratique des hautes études, est l’auteur
de plusieurs ouvrages dont les Laïcités dans le monde (PUF, 2007)
Au Vatican comme à Riyad, Nicolas Sarkozy a valorisé la
foi au détriment de la laïcité. Comment percevez-vous cette posture ?
Pour commencer, il faut essayer de voir pourquoi il a fait
cela. Lui-même et ses conseillers ont bien lu les analyses sur la
postmodernité, l’ultramodernité, ou ce que j’appelle, moi, la
modernité tardive. C’est l’idée que l’on ne peut plus
avoir confiance dans le progrès comme au temps des Lumières. A l’époque, la
science et ses applications promettaient d’améliorer la vie sur terre.
Aujourd’hui, elles sont accusées de mettre en danger la planète. Combiné au
déclin des grandes idéologies, cela entraîne une montée des incertitudes. Du
point de vue de la prise en compte de cette réalité, Sarkozy et ses
conseillers ont plusieurs métros d’avance sur le PS. Si on ne comprend pas
cela, on ne prend pas la mesure du défi que le chef de l’Etat lance à la
gauche. Mais lui s’en sert au profit d’une tentative néocléricale de
re-liaison du religieux et du politique, d’instrumentalisation du religieux
par le politique.
Cela justifie-t-il des critiques aussi sévères sur la
laïcité ?
La morale laïque est une morale commune. Elle n’a pas à
être totalisante ni complète. Seules les sociétés totalitaires ont tenté de
faire croire qu’elle pourrait répondre à toutes les aspirations de l’homme.
Des individus peuvent estimer qu’elle est insuffisante. Libre alors à eux de
rechercher volontairement une morale plus exigeante. Comparer morale laïque
et morale religieuse, c’est confondre deux plans. De même quand Sarkozy dit
que l’instituteur ne sera jamais à la hauteur du curé ou du pasteur.
Et l’insistance du Président à rappeler les «racines
chrétiennes» de la France ?
Cette hypertrophie des racines privilégie le passé aux
dépends de la dynamique et du mouvement. J’y vois une forme
d’intériorisation de l’impuissance du politique, à l’égal des lois
mémorielles votées par le Parlement. Le politique s’occupe de choses qui ne
le concernent pas.
Sarkozy s’aventure-t-il sur un terrain qui ne devrait
pas être celui d’un président de la République ?
Il fait de la religion une dimension obligatoire de l’être
humain. C’est une option philosophique que n’a pas à avoir un président de
la République. A ma connaissance, aucun de ses prédécesseurs n’est allé
aussi loin. Personnellement, je suis protestant mais je dénie à l’Etat le
droit de croire à ma place.
Libération du 16/01/08