Regarder comprendre se souvenir

Une bien curieuse alchimie

Je dus m’imposer le silence intérieur; ma pensée et mon corps firent bloc: plus de dialogues, plus de discours, plus de souvenirs, plus de défis. Je me voyais gémir; je me regardais agoniser en hurlant ou en sanglotant; les images cessèrent de se transformer en mots. *

Peut-on dire mieux que cette obstruction silencieuse à l'abstraction ? Ce qui signe l'humain, ce fabuleux potentiel à mettre des mots sur ses images et ses émotions, cet étonnant escamotage par où nous éliminons tout ce qui du réel est différent, spécifique, ou qualité, mais par où, en même temps il nous devient saisissable, ceci même s'enraye sitôt le silence, tellement nécessaire pourtant quand il s'agit de prendre du recul!

Curieux comme l'on retrouve incontinent cette morale ordinaire du juste milieu comme si tout se pouvait résoudre avec un pas trop, pas trop peu ! Je fais pourtant l'hypothèse que se joue ici plus essentiel encore ! Comment ne pas songer au

deux escès : exclure la raison; n'admettre que la raison

de Pascal ? C'est ici la même oscillation au risque du même déséquilibre qui me fait en tout cas songer qu'il ne se joue pas ici une position encore moins une posture mais un dynamique effort sans cesse réitéré, presque toujours raté entre les deux.

Et pourtant il est tant qui relève de l'indicible !

- Je reste aujourd'hui encore rêveur devant cette lueur aveuglante d'un Dieu qui ne se peut ni regarder ni nommer

- Je reste tout autant interdit devant l'incapacité des rescapés à pouvoir dire cet autre côté de l'humain où on les plongea sans qu'ils puissent totalement en revenir.

- Je souris parfois de l'impuissance à dire la différence avec des mots qui ne sont faits que pour énoncer la ressemblance, la classe, le groupe !

MoiseDe tout ceci, il est sans doute un point de convergence ... ou de fuite. Que silence comme parole sont des processus jamais des états; que l'on ne parvient jamais ni à tout dire ni à tout taire; que nous ne cessons de jongler entre deux, entre les deux, comme autant de tentations de l'impossible.

Alors peut-être oui, existe-il véritablement un point à l'horizon où se croisent les lignes du silence et de la parole, où les vertiges de celle-ci seraient exactement compensées par les chaînes de celui-là; où pouvoir et savoir s'équilibreraient comme par miracle, pour un instant; pour un instant seulement !

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