Rodomontades

Petites querelles entre amis

Petite bronca après les propos sarkoziens .... relayés par Libération

L'homme est coutumier du fait: sans doute y a-t-il chez lui un côté ado pré-pubère ivre d'affirmation d'une puissance toute neuve; sans doute y a-t-il chez cet homme une égolâtrie d'immature chronique qui laisse interdit; sans doute y a-t-il chez ce président une précipitation qui convient mal au temps long du politique; sans doute y a-t-il chez lui une volonté acharnée de compenser les temps si étals, si inertes des second mandats de Mitterrand, des deux mandats de Chirac.

Orlando furiosoComment ne pas songer au roi Rodomont de l'Orlando furioso de l'Arioste ? J'aime assez qu'un personnage de littérature devienne un nom commun : ceci n'arrive pas si souvent que cela ! Je pense à Gavroche ... il ne doit pas y en avoir tant que cela !

Regardons-y de plus près. Rodomont est brave, courageux, mais fanfaron. Il faut toujours qu'il en rajoute ! qu'il se targue d'exploits imaginaires ou réels mais dont il est en tout cas toujours le héros central.
Rodomont rejoint ainsi la cohorte des personnages un peu ridicules à force d'être fats. Il y a du Tartarin dans cet homme-là !

Cet homme me surprendra toujours même si je n'aime pas me compromettre à la psychanalyse facile : je n'aurais jamais imaginé qu'on pût être à ce point caricature de soi-même, autant de mauvaise foi !

Il a le geste vif et appuyé, un peu trop précis, un peu trop rapide, il vient vers les consommateurs d'un pas un peu trop vif, il s'incline avec un peu trop d'empressement, sa voix, ses yeux expriment un intérêt un peu trop plein de sollicitude pour la commande du client, enfin le voilà qui revient, en essayant d'imiter dans sa démarche la rigueur inflexible d'on ne sait quel automate, tout en portant son plateau avec une sorte de témérité de funambule, en le mettant dans un équilibre perpétuellement instable et perpétuellement rompu, qu'il rétablit perpétuellement d'un mouvement léger du bras et de la main. Toute sa conduite nous semble un jeu. Il s'applique à enchaîner ses mouvements comme s'ils étaient des mécanismes se commandant les uns les autres, sa mimique et sa voix même semblent des mécanismes; il se donne la prestesse et la rapidité impitoyable des choses. Il joue, il s'amuse. Mais à quoi donc joue-t-il ? Sartre

L'empereurOui, c'est bien cela ! Il joue à être président ! il joue son personnage ! La question n'est pas en réalité celle de sa sincérité ou de son authenticité: ce serait trop simple, explication trop naïvement psychologiste ! Non ! il y va sans doute de quelque chose de métaphysique dans cette propension irréfragable à l'hyperbole ! Sarkozy n'est pas un acteur de l"histoire, il est l'acteur de l"histoire !

Certains ont cherché en Napoléon une lointaine rémanence - d'ailleurs plus souvent en Napoléon III que I ! - en se rappelant d'ailleurs avec gourmandise que l'histoire ne se répète jamais ou alors sur le mode de la caricature, de la comédie ! Je ne suis pas certain que la comparaison soit féconde si elle est plaisante !

Je crois plutôt que Sarkozy est l"émergence sur notre échiquier politique de la première véritable figure de la modernité et si elle nous dérange, c'est justement parce qu'il ressemble à cette modernité-là ! Charge pour nous de nous insurger plutôt contre celle-ci que celui-là qui n'en est que l'emblématique caricature ! Jusqu'à Mitterrand nous eûmes des présidents ancien régime, marqués par la guerre, la résistance ! Chirac fut de ce point de vue transitoire, happé par les vertiges libéraux mais engoncé encore dans la mythologie gaulliste qu'il aura contribué à trahir définitivement ! L'après-guerre est achevée et ses rêves d'un état solidaire et l'on voit bien comment le pouvoir besogneusement, systématiquement, détricote ce que l'après-guerre avait construit ! Modèle français, je ne sais; modèle défunt, assurément !

- culte de l'argent parce qu'il représente la réussite
- culte de l'action, de l'efficacité, de la performance
- culte de la rapidité, de la vitesse

J'ai parlé de culte - pas de culture ! Ce n'est pas un hasard parce qu'il ne s'agit pas d'autre chose que du retour à une religiosité, certes dégradée, mais réelle. Ce n'est pas un hasard parce que l'homme comme sa période ont jeté la culture par dessus les fossés et ne s'en soucient que comme source éventuelle de performance et de valeurs !

Oui c'est vrai, c'est de métaphysique dont il s'agit ici ! Celui qui joue son rôle, qui se caricature d'une certaine manière, celui-là joue l'essence ! pas l'existence ! Nous faire croire que l'on ne serait que ce que l'on est, ou paraît; que l'on est pleinement sa fonction c'est vouloir offrir aux temps une imagerie, un emblème . Cet homme-là, dans ces temps troublés, veut incarner la volonté ! Paradoxalement il se doit d'être immuablement en mouvement !

Mais à ce titre il est l'anti - Aristote : non pas le moteur immobile mais au contraire l'acteur impuissant ! Paroles beaucoup, incantations souvent ... cet homme bourré de tics, n'atteint en réalité jamais le monde !

Rodomont oui ! Il n'y a rien derrière tout cela sinon la comédie sinistre de la vanité; la tragédie de l'impuissance !


lire ce que Hugo disait de Napoléon III

J Tulard

 

 

 

 


Entretien avec Alain Duhamel (1)
envoyé par Mediapart