Temps long...temps court

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Décote

Sarkozy dévisse dans les sondages autre manière de signifier la fin de l'état de grâce et voici soudain que la presse s'interroge, et s'enhardit à ne pas comprendre ...

Etat de grâce

Concept plus religieux que politique, il fut, à ma connaissance utilisé par F Mitterrand lors de l'annonce de sa candidature à l'élection de 81. Il ne pouvait pas ne pas escompter, une fois élu, après 23 ans d'opposition, sur les effets qu'un président de gauche pourrait escompter d'une telle rupture .

Cet état s'appuie à la fois sur le KO réel d'une opposition peu habituée à la défaite et sur l'attente des électeurs tout ébaudis de leur audace même. Sans doute le nouveau pouvoir eut-il conscience très forte de cette fenêtre de tir, finalement assez étroite, qui fit qu'un Deferre 2 notamment poussa pour l'urgence des réformes devinant bien que ce qui n'était pas fait dans les premiers mois du septennat risquerait bien de s'engluer dans les méandres du politique sitôt cet état de grâce achevé, l'opposition requinquée et les électeurs, inévitablement déçus par la lenteur des réformes, voire par les réformes elles-mêmes dont ils attendraient à la fois plus et plus vite.

3 présupposés:

La notion d'état de grâce n'est compréhensible qu'à partir de trois postulats préalables:

 

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le premier, en lui-même inexact, qui laisserait entendre que l'opposition fût un frein aux réformes. Sans doute vrai sous les IIIe et IVe Républiques, ceci est manifestement faux depuis 58 où, loi majoritaire  et maîtrise de l'ordre du jour des chambres aidant, l'exécutif n'a jamais été empêché en quoi que ce soit de mener à bien les réformes ni de faire voter les lois qu'il désirait. Ce n'est certainement pas un hasard si un seul gouvernement fut censuré (Premier gouvernement Pompidou 5 octobre 1962) depuis 1958.

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le second, exact lui, selon lequel le pouvoir démocratique est affaire de négociation, avec les partenaires, de compromis avec les élus, d'adaptation avec les administrations. Qu'en conséquence, ce pouvoir, loin d'être absolu, est au contraire encadré produisant par là-même un temps dilaté, englué dans l'ordinaire mais qu'il existe des interstices, ceux que provoquent les révolutions ou les commencements radicaux, où tout semble possible, parce que le temps y semble suspendu, et les contraintes ordinaires envolées. De grâce, ce moment l'est, parce qu'il est sans doute le seul de réelle puissance, où tout semble possible.

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l'inconstance présumée des électeurs. De ce peuple que l'on cherche à séduire puisqu'il est la source de toute légitimité mais qui, en même temps fait peur pour ses colères, ses passions, ses soubresauts. Un peuple qu'on dépeint assez aisément comme une bête un peu sotte dont il faut juguler la violence, ou un adolescent passablement capricieux, qui ne comprendrait rien à rien, mais voudrait tout, tout de suite, s'apprêtant à bruler aussi vite ce qu'il s'était empressé d'aduler. Inconstance, imprévisibilité et ingratitude qu'illustreraient bien ces retournements si rapides de popularité.

 

Pris ensemble, ces présupposés dessinent un moment privilégié, inaugural, presque magique, sitôt évanoui qu'installé, qui serait en définitive, le seul vrai moment de la puissance. Conception finalement tragique de l'histoire où rien ne serait possible que par accident, mégarde ou miracle !

Temps politique, temps social

A bien y regarder on peut observer la conjonction de plusieurs temporalités qui sans s'interpénétrer toujours, se recoupent parfois pour former ce qu'il faut bien appeler ... l'histoire .

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temps politique v/s temps social : le premier celui de l'action, celui de l'événement, de la politique, est un temps brusqué, discontinu qui court d'événement en événement sans que l'on sache trop si le grand acteur en est le moteur ou simplement... la victime consentante. En face, le temps des sociétés, plus étal, plus lent où rien ne semble bouger que de manière imperceptible, où tout ne semble évoluer que de manière si lente qu'elle en lasserait la patience des peuples comme la volonté des politiques.

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C'est cette opposition que souligne, par exemple, Tocqueville, dans L'ancien Régime et la Révolution, où il s'enquiert de montrer que, sous les turbulences de la Révolution, rien, finalement, n'a tant changé que cela ( l'hypercentralisation de l'organisation administrative, la mentalités de rentiers des possédants ...)

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C'est encore cette même opposition que désigne Marx en distinguant infrastructure économique et superstructure pour indiquer que la base réelle de l'histoire est à chercher dans l'épaisseur économique de la production par les hommes de leurs conditions d'existence et qu'en conséquence idéologie, droit et formes d'Etat ne sont jamais que les résultantes dialectiques peut-être, mais résultantes quand même des évolutions se situant dans la profondeur matérielle de la réalité sociale.

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C'est encore cette même opposition que souligne Braudel en désignant trois couches de temporalités pour dresser son histoire de la Méditerranée où la couche politique est la seule à être turbulente mais ici aussi ne serait que l'écume brouillonne et désordonnée de temporalités bien plus lentes, presque immobiles dont elle n'est en réalité que l'ultime hypostase.

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Temps de l'événement v/s temps des changements profonds qui est une autre manière de mettre en perspective apparence et réalité. Ce pourquoi l'histoire événementielle peut embrasser des périodes assez courtes quand l'histoire compréhensive cherchera toujours des scansions plus amples qui seules peuvent rendre compte de ces changements lents.

C'est bien sur ces distinctions que s'élaborera ce qu'on appellera nouvelle histoire qui empruntera à Marx cette idée que l'histoire ne peut se résumer aux gestes des grands  hommes mais qu'au contraire le récit des péripéties historiques ne prend son sens qu'à partir de l'analyse en profondeur de la réalité sociale où l'économie puis les mentalités mais l'anthropologie aussi prennent une part incontestable.

C'est rejoindre l'idée hégélienne d'une Ruse de la raison où le grand acteur s'il fait effectivement l'histoire ne le peut que pour autant qu'il agisse dans le sens de la réalisation de l'esprit, bref fait l'histoire mais ne sait pas l'histoire qu'il fait.

Dans une telle perspective, l'homme fait autant l'histoire que l'histoire fait l'homme. (Marx) mais c'est assez dire combien grande est l'illusion du politique.

Temps long des profondeurs où les évolutions sont si lentes qu'elles semblent n'avoir jamais lieu, temps si court des décisions politiques où les résultats se font tellement attendre, quand ils viennent, où les années de pouvoir semblent si piètres en regard des luttes de conquête qui le précédèrent ...
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temps de la décision v/s l'impatience des résultats : opposition qui fait si rapidement se retourner le peuple contre celui-là même qu'il a élu .

Mais derrière ces couples, se profile peut-être plus radicalement l'illusion du pouvoir ou, mais n'est-ce pas la même chose, la mégalomanie : croire que l'on puisse agir sur le réel par le seul effet de sa volonté, c'est effectivement ou bien une folie ou bien une grâce.
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temps des medias v/s temps politique : les premiers sont en quête d'événements, de scoops , plongés dans un immédiat d'autant plus fugace qu'un événement chasse l'autre. Les deux agendas, médiatique et politique, ne se recoupent pas ! Gare à celui qui se laisserait imposer les saccades des média: il se condamnerait à n'être jamais que dans la réaction à l'événement et non plus dans l'impulsion d'un mouvement.

Grâce

La toute puissance se manifeste toujours par la suspension du temps : que la lumière soit ! Et la lumière fut ! Rien, nul délai entre ces deux phrases. C'est en ceci que réside la puissance. Quand la parole se fait acte, qu'il suffit de parler pour que le réel obéisse ! Ce que la formule du magicien contrefait à l'envi. L'impuissance totale se traduit quant à elle par un temps infini entre la parole et le réel et si pouvoir nous aurions, il résiderait, manifestement, dans la capacité de réduire quelque peu l'infinie distorsion entre nos désirs, volontés et le réel ! Le sage est celui qui a le temps pour lui - il est tempérance - le fou au contraire piaffe d'impatience !

La grâce est cette faveur, accordée par dieu, qui ouvre la perspective d'un destin surnaturel, en particulier d'un parcours dénué de tout péché. Cette faveur c'est au fond celle d'un dieu habitant l'homme. On voit bien ce qu'une telle perspective peut avoir de miraculeux qui fait sortir l'élu du rang et lui confère quelque chose de l'ordre de la puissance.

Alors oui, l'état de grâce est bien cet état où rien ne semble résister à la parole, où la volonté se réalise dans l'immédiat. Il ne faut pas interpréter autrement la nature thaumaturgique des monarques d'Ancien Régime : procédant de dieu, ils tenaient de lui ce signe de la puissance !

Le pouvoir participe ainsi du sacré

Mais cette procession implique une extériorité et c'est sans doute ceci que semble ne pas vouloir comprendre Sarkozy. Celui qui est au principe, celui qui ordonne ne peut appartenir à l'ensemble qu'il ordonne. Même symboliquement, il est dehors, à l'écart. C'est cette stratégie qu'adoptèrent avec plus ou moins de bonheur ses prédécesseurs (De Gaulle et Mitterrand 3 surtout) .

L'hyper-présidence aboutit exactement à l'inverse de ce qui fut souhaité: c'est désormais celui qu'on voit peu - Fillon - qui a désormais la cote. Sans doute est-ce dans ce désarroi qu'il faut comprendre le discours du Latran : la recherche d'un appui du sacré qu'il ne trouve pas faute d'avoir compris la fonction présidentielle. Sans doute faut-il, peut-on, interpréter l'impétuosité présidentielle comme l'ultime ressac d'un ego démesurément humilié, d'une adolescence mal achevée. Il y a quelque chose de surprenant de voir ce quinquagénaire bondir et rebondir tel le cabri de la parole gaullienne !

S'il est quelque chose de commun entre le sacré et l'adolescence n'est-ce pas justement cette extériorité au temps? mais le premier lui est transcendant quand la seconde tente désespérément de lui échapper - ce qui n'est pas la même chose. Le premier ensemence le temps quand la seconde n'a d'autre argument que sa candide juvénilité c'est-à-dire ici l'illusion d'être à l'origine, au début, d'une épopée.

Je n'aime pas, je l'avoue, les interprétations psychologisantes, mais, le moins qu'on puisse dire, est que Sarkozy n'a pas pris la mesure de la présidence, n'a peut-être pas compris ce qu'est le pouvoir.

Sous couvert de modernité, sous le prétexte de l'engagement, il confond sciemment politique et action - voire réaction - semblant, ce qui est un comble, subir les événements plutôt que les ordonner.

 

Pouvoir & Puissance (suite)

1) on peut lire
ceci, qui ne recoupe pas nécessairement nos analyses, mais reste assez complet
sur le temps en politique

sur ses paradoxes

sur l'état de grâce dont B Teinturier pense qu'il n'est plus un concept valide

2 ) on retrouve cette idée d'urgence dans le récent rapport ATTALI

3) regardons simplement comment la cote de popularité de Mitterrand grimpa systématiquement après que ses défaites, cohabitations obligent, le contraignirent à être moins présent, plus silencieux, et à devenir effectivement arbitre.