A la fenêtre

Regards

L'appartement de ma grand-mère se trouvait juste en face de l'église St Guillaume et, enfant, j'aimais, tels les vieux, passer mon temps à regarder par la fenêtre y scruter ce qui s'y passait... la vie des autres. La fenêtre offrait un rebord suffisamment large, de bois recouvert, pour que je m'y puisse étendre tout du long, juste adossé au mur et passer ainsi de longues après-midi à regarder ou rêver, tandis qu'à côté, penchée sur sa machine à coudre, ma grand.

La vue offerte xétait celle de la cour jouxtant l'église où vivait le sacristain mais où parfois je pus jouer avec ses enfants. Je savais, je le pressentais, que cet espace avait aussi été celui de ma mère.

La grille du portail n'a pas changé, tout juste ai-je le souvenir d'une église, d'un orangé sale que cette sourde blancheur trahit quelque peu.

Cette cour, yc'est celle des premières comédies de ma mère au temps de ses classes maternelles ou plus tard de ses initiations religieuses.

La rue Munch, c'était pour moi, l'autre espace enfantin: celui des petites vacances , Noël Pâques puisque les grandes se passaient invariablement au Tyrol.

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Deux images, fortes, me restent de ces longues rêveries lascives.

Les offices, particulièrement les enterrements, qui m'offraient grands spectacles d'habits noirs et compassés processionnant à l'entrée ou s'attardant à l'issue mais aussi ce mystère, pour moi resté entier, d'une communauté dont la componction mimait la solidarité! Rejeté à l'extérieur, sans que j'en souffris, il y avait là, si proche et si étrange pourtant, le condensé de l'inquiétant! Comme si un mystère assourdissant, indicible d'être si vétilleux, me projetait loin, ailleurs, de ce qui pour quiconque demeurait le lot commun.

Plus anodine, celle à l'horizon, de St Thomas en ligne de fuite du quai des Bateliers. Là, inlassablement je regardai passer les trolleybus z puis plus tard les autobus de la ligne Ceinture, qui me fascinaient. Pourquoi? je l'ignore! Assez en tout cas pour avoir eu envie longtemps d'être adulte conducteur d'autobus! Enthousiasme de petit garçon pour la machine, pas certain!

Je m'amuse de penser que j'attendis 40 ans pour passer un permis qui m'autorisa enfin ce petit plaisir mécanique de domination! Ébloui assurément par la ronde incessante de ces autobus qui, traçant un cercle autour du centre historique, n'allaient finalement nulle part, esquissaient ainsi le mouvement vain de la vie où l'affairement des uns le dispute invariablement à la vanité des autres.

Vu de ma fenêtre, ce fourmillement  scandait le pédalier si rapide de ma grand-mère sur sa machine qui faisait si bien, à l'échelle de mon enfance, le bruit d'un petit train  que je lui demandais souvent d'à mon tour pouvoir y jouer aussi.

Alors, magnanime, quand elle en eut fini de sa besogne, prenant soin au préalable d'enlever l'aiguille qui eût pu me blesser, elle me laissait enfin pédaler à mon tour, et réinventer pour moi seul cette agitation qui manquait tant à mes jours.