Aurore

Au tout début

C'était un jour comme les autres ! Presque ! Sans doute la témérité des êtres et la lâcheté des choses se niche-t-elle dans l'interstice de ce presque-ci : nous longeons notre route avec l'inconscience de ceux qui s'imaginent éternels à moins que cette innocence ne soit le subterfuge que notre paresse chantourne pour oublier que tout nous est compté : nos amours comme nos craintes, nos désirs comme nos efforts; notre souffrance comme nos exhaltations.

Adossés à la répétition de nos quotidiens, assurément nous finissons par les croire pérennes, solides . Tout n'est peut être qu'une affaire de regard : celui que l'on porte sur ses origines pour croire pouvoir s'y adosser; celui que l'on jette sur son avenir pour espérer sinon s'en affranchir du moins s'en écarter.

Zénon avait raison sans doute : aucun début n'est jamais repérable ; rien ne commence jamais ; tout est toujours continuation, déjà. De ce qui me fit, mes goûts, mes désirs, mes aptitudes, mes impuissances, comment déterminer l'émergence ?

Comment tout ceci a-t-il commencé ? Il n'est que dans nos têtes d'enfants ou de ratiocineurs épris d'évidences rationnelles que la nuit succède au jour, et le jour à la nuit. Peut-on vraiment oublier aubes et crépuscules ? ces tracés disparates où le rougeoiment des ciels le dispute aux ombres encore conquérantes ? La vie emprunte pourtant plus souvent ces interstices hésitants que ces plaines rectilignes qui croient mimer l'alliance d'avec l'horizon. Zénon avait raison : au choix, la flèche ne parvient pas au but ou elle ne quitte jamais l'arc qu'Achille ne cessera jamais de bander. Qui du mouvement ou de l'inerte est la métaphore de l'autre ? qui caricature l'autre ?

Alors donc, il n'est pas de début ! Aucun ! qui ne supoose un antécédant qui vous fera régresser à l'infini dans les nimbes et bégayer devant les ultimes souvenirs. Quel fut-il ce premier souvenir d'ailleurs, qui peut-être résonne encore et me contraint sans que j'y puisse mais, ni lutter contre ?

C'est à tout ceci que je songeai ce soir là, seul comme je l'étais redevenu, allongé sur ce lit trop étroit pour mes craintes, trop dur pour les incertitudes, regardant d'un regard trop rapide l'immense étroitesse de mon empire.