Globalité

 

Retour Négligences

précédent

L'exigence du global

Mais il est clair qu'une telle politique qui veut embrasser ensemble la complexité des problèmes qui se posent à la communauté humaine ne va pas sans un consensus fort, sans un rassemblement qui n'est pas à l'ordre du jour.

Ce n'est sans doute pas un hasard si l'on voit désormais proliférer , dans les discours présidentiels, les références au religieux  1. Au delà de l'imputation politicienne qui viserait à soupçonner sous ces propos une remise en question sournoise de la séparation de l'église et de l'état, remise en question qui ne me semble pas à l'ordre du jour, il faut tenter de comprendre cette référence à la foi.

Tout, manifestement, tourne autour de cette fin, reconnue par tous, de la croyance au progrès .

L'analyse consiste, ni plus ni moins, à supposer que le ciment de la modernité, en remplacement de la foi religieuse, aurait été ce rationalisme positiviste, appuyé à la fois sur la réussite des sciences et des techniques depuis le 19e et sur le projet républicain qui lui est rattaché.

Or, il se trouve qu'ainsi naïvement présenté, l'assertion est fausse tant pour le christianisme au Moyen-âge que pour le positivisme au XIXe .

Tout, manifestement tourne autour d'une double grande inquiétude :

bullet

crainte de la décadence de l'occident et, partant, de la France. Tout le discours actuel, qui justifie la pseudo-rupture, tient dans ce sentiment d'une période d'hégémonie finissante à laquelle on ne saurait se résoudre. Point commun avec toute idéologie d'extrême droite, ce thème de la décadence s'associe toujours à l'exigence d'un retour aux vraies valeurs - où l'on retrouve comme aujourd'hui  travail, autorité, identité nationale . J'ignore, de ces deux termes,  si c'est peur ou décadence qui est le plus effrayant et révélateur; je suis convaincu en tout cas que rien n'est plus dangereux qu'une société qui a peur parce qu'elle s'adonne aisément à tous les replis identitaires les plus inquiétants. Même s'il est vrai que, désormais cette décadence est plus rapidement entendue d'un point de vue économique que culturel - montée en puissance de la Chine et de l'Inde - il n'empêche que, derrière l'appel à  la croisade contre les forces du mal d'un Bush on reconnaît assez vite la tentation frontale d'un choc des civilisation où l'Occident feint de jouer son avenir.

bullet

crainte millénariste : ce n'est rien de dire que la menace environnementale a subitement donné un tour nouveau à la crise de l'occident. Subitement la prise de conscience est venue que nos problèmes n'étaient plus ceux, classiques, d'une mauvaise organisation sociale ou politique, qui expliquerait conflits, injustices et crises, mais qu'au contraire c'est le principe même du développement à l'occidentale qui est une menace. Que ce n'était plus seulement notre modèle de société et de culture qui était en cause mais la survie elle-même de l'espèce et ce, dans des délais si courts qu'ils rendent le volontarisme lui-même insuffisant.

Rien n'est sans doute plus dangereux qu'une société qui a peur - et en particulier de son avenir. L'histoire récente montre aisément qu'elle peut se donner assez facilement, assez contradictoirement, au premier protecteur donné pour la consoler de ses angoisses. Pétain et sa Révolution nationale ne se lisent pas autrement Ce n'est, certes, pas un hasard, si Sarkozy joue sur certaines - pas pas toutes - des peurs qui forment l'antienne de l'extrême droite 2 .

On peut, de cette situation inédite tirer une lecture apocalyptique ou optimiste, je l'ai dit. On peut surtout y lire ce qu'il y git de nécessité globale:
bullet

L'incertitude qui règne n'est peut être pas si désolante que cela si l'on songe qu'elle remplace finalement des certitudes bien fausses. Il s'avère surtout que nous n'avons pas de grille de lecture pour comprendre la modernité. Toutes celles dont nous disposions sont désormais insuffisantes ou tronquées. C'est d'une philosophie nouvelle dont nous avons besoin qui nous aide à repenser notre rapport au monde, à l'autre, à la technique. Or, force est de constater que sur ces trois points nous intervenons encore avec des références éprouvées, certes, mais dépassées : la grille économiste, même débarrassées des scories marxistes, est trop tronquée pour livrer quelque réponse qui ne reproduise pas la liturgie de la croissance; la référence heideggérienne à la technique nous aura épuisé dans des discours de réprobation ou de désolation qui ne rendent pas compte du rapport biaisé à la nature que la technique moderne impose; et le recours si facile au concept de diversité ne suffit manifestement pas à penser le rapport à l'autre. Ce n'est pas de religieux dont nous avons besoin mais de philosophie.

bullet

Parce que nous initions désormais un nouveau rapport au temps, sans doute nous faudra-t-il revoir nos canons dialectiques. Il n'est pas indifférent que nous soyons sortis du temps progressiste, mais ceci ne signifie aucunement qu'il nous faille revenir au temps médiéval si manifestement grevé par l'éloignement d'avec l'instant créateur que toute innovation fût obligatoirement marqué du sceau du mal ! Invraisemblable que nous soyons incapables de penser ce tournant autrement que sous la forme d'un retour en arrière ! D'autant plus invraisemblable qu'après tout, ce qui s'inaugure est un temps qui cesse seulement d'être solipsiste : l'homme n'est plus seul au monde, désolé par le retrait du divin, il est au contraire pour la première fois depuis le néolithique installé dans un temps qui engage également le monde, au moment même où il a presque complètement perdu son lien avec lui, engoncé qu'il est dans ses villes et ses machines. Que ce temps soit plus complexe parce qu'il engage un troisième terme (moi, l'autre et le monde) ne signifie pas pour autant un retour en arrière pour ceci seul que le temps médiéval dépréciait tout autant - même si autrement - le monde ! Mais ceci signifie aussi que nous ne disposons plus de grille pour le pensée - en tout cas que ni la temporalité linéaire des positiviste, ni celle plus chaotique des hégéliens ne nous sert plus de rien.  Girard n'a pas tord : la dialectique hégélienne était encore ce fol espoir, finalement bien eschatologique sans se l'avouer, d'une temporalité devant s'achever nécessairement sur la parousie; était une foi indéfectible dans les vertus du conflits.

Le recours à la politique de civilisation est-il la soudaine prise de conscience présidentielle d'une réponse désormais globale et non plus seulement sectorielle, voire réductrice, à nos problèmes? Mais alors comment conjuguer ceci avec la tentation encore si forte du bling bling ?

suite

1) Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur, même s’il est important qu’il s’en rapproche, parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance»

bullet

on trouvera ici  (billet du 22/12) une analyse du discours présidentiel à l'occasion de sa visite à Rome

bullet

lire aussi ceci dans Libération du 16/01/08 :

bullet

du même un chat sur le site du Monde

bullet

voir enfin  dans le Monde du 17 janvier 08

bullet

verbatim

2) Les thèmes de l'extrême-droite :

bullet

« la haine du présent », considéré comme une période de décadence ;

bullet

« la nostalgie d’un âge d’or » ;

bullet

« l'éloge de l’immobilité », conséquence du refus du changement ;

bullet

« l'anti-individualisme », conséquence des libertés individuelles et du suffrage universel ;

bullet

« l'apologie des sociétés élitaires », l'absence d’élites étant considérée comme une décadence ;

bullet

« la nostalgie du sacré », qu'il soit religieux ou moral ;

bullet

« la peur du métissage génétique et l’effondrement démographique » ;

bullet

« la censure des mœurs », notamment la liberté sexuelle et l'homosexualité ;

bullet

« l'anti-intellectualisme », les intellectuels n’ayant « aucun contact avec le monde réel » .

On le voit en égrenant cette liste combien Sarkozy n'en épouse pas tous les concours. Ce en quoi il est effectivement atypique ainsi que le soulignait Morin et qui constitue sans doute à la fois sa faiblesse et sa force. Ses éventuelles chances de marquer son mandat tiennent en ceci.

 

haut de page

suite