Discours du Latran 20
décembre 2007
l'exigence du religieux
Ce n'est pas la première fois que nous sommes ainsi
confrontés à cet
appel au
religieux. Il y a quelque cohérence à cet appel dans la réflexion
anthropologique de R Girard (à qui Sarkozy fait d'ailleurs référence
dans le discours du Latran) dans la mesure même où elle est au creux, dès le
départ, de sa problématique. Il y en a moins, ici, à faire indifféremment
appel à Morin et à Benoît XVI, même s'il semble bien qu'il s'agisse ici de
donner quelque perspective, pour ne pas dire profondeur, à une politique qui
en semble singulièrement manquer.
C'est M Serres qui faisait remarquer que l'antonyme de
religion c'était précisément négligence. Négliger, que ce soit quelque chose
ou soi-même c'est ne pas prendre soin, ne pas vouloir établir de lien, de
relation avec cette chose, tout le contraire de religion qui renvoie au lien
que l'on tisse. Où d'ailleurs religion a quelque chose à voir avec la
complexité de Morin !
Cet appel au religieux doit être pris au sérieux parce
qu'il pose plus de questions qu'il n'apporte de réponses, mais parce que
surtout il semble bien être le nouveau pont aux ânes théorique de cette
période de transition et de peurs.
Qui instrumentalise qui ?
En affirmant "Un homme qui
croit est un homme qui espère. L'intérêt de la République, c'est qu'il y ait
beaucoup d'hommes et de femmes qui espèrent", Sarkozy fait un double
aveu :
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la république n'est plus une machine à rêve. La crise est
une crise fondatrice dans la mesure même où le projet républicain se serait
épuisé.
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la république se sert du sentiment religieux pour compenser
une dynamique qu'elle n'est plus capable d'insuffler.
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J'avoue avoir toujours quelque défiance à l'égard de ces
stratégies d'instrumentalisation dont l'expérience montre qu'elles se
retournent aussi aisément que des gants ... ou des vestes. A ce jeu comment
être certain que ce ne soit pas demain le politique qui soit instrumentalisé
par la religion .
Or, il l'est par le projet même. Allez chercher dans le
sentiment religieux la dynamique que l'on cherche n'est-ce pas déjà réduire
le politique à une simple mise en application d'un projet bien plus profond
qui, sous le vocable de civilisation,
traduirait en réalité le religieux ?
Il faut lire pas à pas ce discours parce qu'il traduit un tournant
inquiétant mais bien révélateur :
D'aucuns s'indignent de l'usage de l'adverbe essentiellement
pour définir nos racines. L'argument est juste, il est insuffisant. Comment
ne pas voir que l'on est en train, ici, de retraduire autrement le discours
très droitier, pour ne pas dire d'extrême droite, sur les racines. Les deux
termes se renvoient l'un à l'autre dans une belle logique essentialiste en
quête d'une nature préalable qui vous définirait : ce que l'on ne
peut plus chercher du côté de la race ou de la terre, on va le chercher
désormais du côté de la culture !
Belle contradiction, belle négligence - la première - d'un
homme qui a trop vanté la mondialisation pour aller quêter le renfermement
sur soi mais tension tellement forte qui n'ose avouer non la rupture
mais la terrible reculade que ceci implique.
On peut y trouver plusieurs causes ou explications:
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superficiellement c'est le leurre trouvé par un politique
ne pouvant satisfaire les attentes qu'il a lui-même suscitées. A trop
vouloir la rupture, à trop vanter que l'on agit quand les autres se seraient
cantonnés en un immobilisme béat, on n'a peut-être pas d'autres solutions
pour expliquer son impuissance à les satisfaire qu'à déplacer le problème
ailleurs, plus loin, plus haut. La politique de civilisation, la référence
chrétienne sont ces manières de se donner du champ, en même temps que de la
perspective.
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à un niveau intermédiaire, qui n'est plus celui de la
tactique politicienne, il y a peut être le soucis de mettre de la cohérence
là où l'agitation et le télescopage des réformes donnaient une curieuse
impression d'hyperactivité infantile et capricieuse. Aller
chercher du côté de la philosophie puis de la religion, donc du côté de la
pensée et de la représentation, de quoi donner un sens à sa démarche était
effectivement d'autant plus utile qu'il s'était attaché à expliquer que la
société avait besoin d'être revisitée de fond en comble. Dès lors qu'il ne
s'agissait pas de réformes sectorielles ou ponctuelles, un plan d'ensemble
devenait utile.
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à un niveau plus profond, il y a ici une gestion nécessaire
du temps à quoi Sarkozy n'échappera pas, de toutes façons ! Depuis 6 mois,
il aura moins été l'omniprésident que le président de l'instant, de
l'immédiat ! Or toute politique s'inscrit dans la durée. Et lui-même a un
mandat à faire, à peine entamé, dont on imagine mal que le rythme puisse
demeurer aussi trépidant . Il a, pour laisser à ses réformes le temps de
porter leurs éventuels fruits, besoin de temps, de champ, d'horizon; besoin
de rassembler la nation s'il veut avoir une chance de pouvoir l'emmener où
il désire. Une politique est toujours au service d'un peuple et d'une
idée.
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Mais ce rappel à l'idée est une triple faute :
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la référence à l'identité -nationale- et aux racines est
tout sauf ambiguë : faute
logique que M Serres ne cesse de fustiger qui confond appartenance à un
groupe et identité où il a raison de voir le fonds de tout racisme. C'est
supposer que nous ne serions que nos racines et que notre définition
toujours nous précéderait. Comme si l'horizon indépassable n'était que notre
passé. Sarkozy réinvente l'étymologie catholique : nous serions tous cathos,
sans le savoir !
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Croyant s'appuyer sur l'histoire, il la nie en réalité.
C'est tout le mouvement, depuis Descartes puis les Lumières qu'il balaie
d'un haussement d'épaules, ce mouvement qui avait cherché dans le doute, la
réflexion, la raison, les chemins d'une liberté possible.
Il faut oser mettre dans une même phrase, sous le même
vocable -idéologie - émancipation de l'individu, démocratie, progrès
technique, communisme et nazisme : ceci ne saurait être anodin. Négligence
conceptuelle que d'ainsi confondre acquis historiques, réalités sociales et
idéologies. Négligence intellectuelle - pour ne pas dire malhonnêteté - que
d'ainsi tout réduire à l'aune de la déception laissant supposer que
l'exigence de liberté serait nécessairement désavouée si elle ne s'appuyait
pas sur des valeurs chrétiennes, spirituelles ! Raccourci dangereux pour ses
inévitables inexactitudes, funeste pour ce qu'il nie ceci même qu'il invoque
: l'histoire. Et je parle pas de la mise au même plan du nazisme, du
communisme et de la Renaissance qu'il dut bien sentir comme pour s'en
excuser avec cette incise modératrice !
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Faute - ou malhonnêteté intellectuelle ? Ici encore, il
faut oser ! Dire, comme il le fait, que l'espérance a besoin de s'appuyer
sur autre chose, sur plus vaste que le matériel quand on se vautre comme lui
dans l'ostentatoire luxe de vacances de milliardaires, dans l'afféterie
bling-bling, relève ou bien du foutage de gueule ou bien de la plus niaise
des inconséquences ! On attend d'un Président qu'au moins il n'exporte pas
son éventuelle crise mystique sur le pays et qu'au moins, il cesse de nous
prendre pour des imbéciles. A moins qu' il ne vienne de découvrir un nouveau
sens au Mon royaume n'est pas de ce monde: une réponse au Gagner plus
!
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Voilà un
bien grand mot pour celui-là même qui s'insurgeait à longueur de meetings de
notre propension, à ses yeux funestes, à la repentance. On pense évidemment
à la célèbre apostrophe de M Roland devant l'échafaud : Liberté, que de
crimes commet-on en ton nom !
Crime contre la culture ! Un terme qui résonne comme
crime contre l'humanité comme s'il existait à côté de celui-ci une nouvelle
catégorie de crimes dont la justice dût se saisir !
S'agit-il de dire qu'un peuple sans culture çà n'existe pas
? qu'un peuple sans histoire n'aurait pas d'avenir ? Mais que peut bien
vouloir dire ce truisme qui me semble plus poser la question de la
transmission de notre patrimoine, de notre culture, qui ne s'opère pas
toujours au mieux, certainement pas en revenir au passé, forme singulière
pour un président qui proclama si ardemment la rupture !
S'agit-il d'affirmer que la chrétienté de notre culture
serait assiste dans la définition même de celle-ci au point d'affirmer que
nul ne saurait en réchapper ni s'y soustraire, mais alors on ne s'étonne pas
de voir refleurir le concept d'identité nationale.
Ce concept raisonne décidément bien peu qui confond
allègrement religion en tant que corps de croyances et de doctrines défendu
par une institution qui n'aura cessé de jouer un rôle politique jusqu'à la
loi de séparation, qui n'a sans doute jamais cessé de vouloir le rejouer un
jour, d'une part, et les expressions historiques, culturelles de ce corps de
doctrine que nul ne songe à éradiquer. Cette confusion n'a rien d'anodin si
l'on songe qu'elle est étroitement liée à la référence à une laïcité
enfin parvenue à maturité, c'est-à-dire, dans le discours présidentiel,
à une laïcité ouverte !
S'agit-il de faire référence aux
Inventaires de 1906, phase douloureuse certes mais qui n'aboutit quand
même pas à la guerre civile ? Ne vaudrait-il pas mieux rappeler que cette
phase fut d'autant plus douloureuse que l'Eglise ne se résolut que très
lentement à la République et très difficilement à la séparation. Ne
faudrait-il pas rappeler que le conflit religieux, qui est effectivement,
une des assises historique de la république s'explique certes par la volonté
laïque des fondateurs, surtout par l'intrusion de l'église dans le
politique?
Serait-il ici ce crime que d'avoir osé récuser le rôle
politique de l'église? serait-ce là le désir présidentiel que de
réintroduire l'église dans le politique? On comprendrait mieux encore
l'instrumentalisation dont nous parlions plus haut .
Ce qui apparaît clairement c'est une volonté de réécrire l'histoire à
l'aune d'une bien curieuse lecture
Lecture fondamentalement négative des deux derniers
siècles; lecture négative des acquis républicains, lecture tellement
négative de la laïcité qu'il en appelle à une nouvelle approche, positive,
"enfin parvenue à maturité ".
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relecture de l'histoire partagée en deux phases: la
première, plutôt heureuse, où la France était attachée à ses racines
chrétiennes. La seconde, présentée sinon comme malheureuse en tout cas comme
décevante, où elle se serait égarée d'avoir cherché ses espérance
ailleurs. Survol hâtif, nécessairement fallacieux qu'il serait vain de
vouloir corriger qui révèle néanmoins un véritable retournement du temps.
Achevée la perspective progressiste, le temps linéaire ne cours plus vers
son terme de lumière ou d'espérance; non! à l'instar du temps médiéval pour
qui l'âge d'or est au début, à l'instant sitôt vécu que perdu de la genèse,
le temps présenté par Sarkozy est un temps réactionnaire où tout écart
d'avec le temps des racines équivaut à une perte, un égarement, où
l'impulsion ne saurait surgir du projet ou de la volonté mais seulement de
ce retour aux racines, à l'identité ! Aux vraies valeurs ! C'est bien d'une
révolution dont il s'agit: d'un retour au point de départ. Qu'on le veuille
ou non il y a là contradiction flagrante avec le discours régulièrement tenu
sur la rupture. |
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relecture de la séparation de 1905 rebaptisée, dans un
lapsus savoureux, en 2005 comme si son absence de culture - ou sa
mégalomanie - l'empêchaient de voir au-delà de sa propre action !
L'œillade à Max Gallo vaut son pesant: quoi la loi de
séparation se résumerait-elle à l'épisode douloureux des Inventaires ? quoi
ce serait la république qui eût été coupable de cette rupture de l'unité
nationale, et le bon prêtre, par son dévouement en 14 seul acteur de la
réconciliation? On ne peut s'empêcher de sourire devant ce grotesque
manichéisme obséquieux qui donne quitus à l'église de son infinie mansuétude
quitte à nier sa propre histoire. A moins que ... |
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relecture de la laïcité elle-même dont on s'attache à
souligner exclusivement le versant anticlérical sans vouloir véritablement
reconnaître l'avancée que représenta pour la liberté le refus de la
république de reconnaître quelque culte que ce soit. Falsification
volontaire de l'histoire que de ne pas vouloir considérer ce qui dans la
laïcité permettait à la fois de se libérer de la vérité officielle et
garantissait en même temps liberté de pensée et de croyance. Déjà le
Concordat de 1802 ne reconnaissait le catholicisme que comme la religion de
la majorité des français mais en le subventionnant, se gardait les
moyens de le contrôler. 1905 se refuse à choisir d'entre les religions, les
renvoyant dos à dos à l'ultime prérogative de chacun, mais surtout cessait
de vouloir les contrôler. Ne pas voir cela, ne voir la laïcité que sous un
jour négatif, c'est déjà la vouloir remettre en cause. |
Usurpation?
Ce n'est pas à un président de la république de choisir
pour nous, celles des espérances qu'il juge dignes. Mêler Héraclite à la
référence papale n'est qu'un joyeux subterfuge pour avouer en même temps que
camoufler l'essentiel :
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un choix personnel, mais qui ne regarde que lui à supposer
qu'on lui accorde autre créance qu'à celle d'un Tartuffe !
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un singulier aveu sur l'impuissance du politique, incapable
de nourrir l'espérance. Quoi? le rétablissement de la politique promis lors
de la campagne n'était-il donc qu'un leurre destiné à préparer le retour du
religieux.
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un inacceptable déni de la république dont on fustige ici
les errances et impuissances . Ce qui se dit ici c'est que nous vivrions une
radicale crise de civilisation à quoi la république - le politique - ne
saurait répondre ; à quoi seule la religion pourrait apporter sens,
perspective et espérance. Ce que traduit bien l'insuffisance
supposée de l'instituteur - l'un des piliers traditionnels de la
république.
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Derrière tout ceci, brusquement surgissent les remugles de
la pensée d'extrême-droite:
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nostalgie du sacré
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nostalgie d'un âge d'or
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anti-individualisme.
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suite
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