Sur la pub

Publisexisme

café des artsUne séance du café des arts à l'IUT sur le sujet. L'animatrice du Collectif contre le publisexisme 1 a répondu aux questions de l'auditoire après avoir montré quelques publicités.

Sujet pour moi évident au sens où il ne me pose pas de problème, alors pourquoi cette gêne, cette envie d'en découdre alors même que, spontanément, je vais dans le sens de ce qui fut dit ? Pourquoi, au reste, suis-je en même temps dérangé par cette gêne elle-même?

Réflexe de vieux macho me dis-je ! J'en accepte l'augure sans m'y résoudre pourtant ! Et s'il y avait autre chose derrière cela !

Une posture militante

Je n'ai - presque - jamais cédé aux quolibets si faciles, souvent si vulgaires, contre la militance féministe. mais mes réticences tiennent à la militance elle-même. Dénoncer est une chose; expliquer, une autre. Et ne suis pas certain que l'auditoire de l'autre jour n'eût pas préféré le commentaire à l'accusation, si justifiée celle-ci soit-elle.

M'aura notamment intrigué que beaucoup dans le public, tout disposés qu'ils furent à reconnaître par exemple dans la publicité ci-contre une violence insupportable, ne s'en détournaient pas pour autant non plus de la marque qu'elle promouvait. Tout se passe comme si la publicité était capable de développer ses propres mécanismes de défense.

Ce n'est que de la pub !

Parce que nous savons qu'elle n'est qu'une technique de vente, qu'elle est, par définition, partiale, nous n'attendons rien d'elle - et sûrement pas un discours véritatif. Mise en scène qui se donne pour telle, comme si elle était un simple récit, une variation autour d'un thème imposé ou qu'elle fonctionnât comme n'importe quelle oeuvre d'art, qu'elle ne prétend même pas être, c'est-à-dire comme un regard qui en dira toujours plus sur nous, spectateur, que sur elle ou ses auteurs, la publicité joue sur le registre exclusif de la sensation, de l'émotion - jamais sur celui de la raison.

De ceci deux conséquences, me semble-t-il :

- les pubs racontent des histoires que nous subissons, sur le mode de l'ennui ou du plaisir - en tout état de cause de la passion. Sur le mode de la narration la publicité conjugue jusqu'à satiété et de manière furieusement répétitive notre plaisir enfantin au conte ! D'où sans doute la prédilection des enfants pour la publicité !
Il y aurait beaucoup à dire2 sans doute sur notre rapport au récit, et plus largement à la fiction : je ne puis m'empêcher de penser, qu'à moins d'adopter la position rigoriste et passablement puritaine d'un Platon expulsant les artistes de sa cité idéale pour faute de toujours transmettre le mensonge plutôt que la vérité, il n'est pas d'autre chemin que de considérer la publicité comme un mythe c'est-à-dire, au sens de Platon, comme une fiction narrative contenant une vérité complexe non formulable abstraitement par la voie logique du concept.
Reste alors à déjouer cette vérité complexe qui me semble ressortir à la fois d'une grille économique, sociologique et psychologique mais dont je persiste à penser qu'elle dira plus sur nous - et notre époque - que sur la publicité elle-même.

- ce récit où nous convoque la publicité suppose un rapport au réel qui mériterait sans doute d'être analysé 3 mais où je vois se jouer quelque chose comme l'innocence 4 du créateur où se joue précisément la capacité de la publicité à développer ses propres mécanismes de défense. Ce n'est que de la pub autrement dit ce n'est qu'une petite historiette à ne surtout pas prendre au sérieux.
Celui qui s'en prend à la publicité, à ses contenus douteux ou scandaleux, se mettra toujours plus ou moins dans la position ridicule de l'avocat impérial Pinard s'en prenant à l'immoralité de Flaubert 5 et de sa Madame Bovary ! et risque ainsi inévitablement de rater sa cible. Gare au jugement de l'histoire qui ne va jamais dans le sens de règles prédéfinies ... mais les invente !
Et c'est bien tout le problème ! La publicité n'est qu'une technique mais argue de son esthétique narrative pour défendre sa liberté d'expression. La censure mise à part - mais qui la peut ouvertement désirer sans paraître immédiatement liberticide ? - je ne vois pas d'autre objet au réquisitoire anti-pub. Et il est délicat sinon dangereux !
Alors, il faut effectivement regarder plutôt du côté de cette étrange capacité de la publicité à se situer toujours plutôt du côté de l'hyperbole, de la provocation, tout en empêchant que celle-ci se retourne jamais contre elle.

L'éloge de la réification

Elle peut être lue à partir de plusieurs grilles. Je n'en soulignerai que trois ici :

économique : la logique de la société industrielle est bien de transformer tout objet en marchandise pouvant faire l'objet d'un échange et donc d'un profit. Inutile d'y revenir c'est un truisme. Inutile aussi de s'en offusquer même si l'on peut y voir la tare du système : la mauvaise foi. Le corps s'entend comme une marchandise sur quoi l'on investit et dont on attend à la fois performance et retour sur investissement.

psychologique : la publicité étant outil à déclencher un acte d'achat elle ne saurait être autre chose qu'une vaste métaphore du désir. La seule question qui vaille et qui signe notre temps tient au fait qu'elle ne sache conjuguer le désir qu'en terme physique, sexuel ! S'il y a publisexisme c'est en ceci d'abord qu'il réside : que la sexualité soit la première forme de désir qui vienne à l'esprit, pourquoi pas ! tant elle en est l'expression à la fois la plus commune et la plus complexe. Que notre société n'ait qu'elle à mettre en scène en dit long ! Et triste !
Liée à la précédente grille, ceci signifie que le corps, et la sexualité à quoi on le réduit, sont convoqués à l'aune de la performance c'est-à-dire à la fois à l'expression, à l'acte, au rendement. Avec tous les clichés qui s'y adjoignent de la virilité agissante et de la féminité sinon passive en tout cas réduite à la seule séduction.

sociologique: la publicité renvoie d'abord à ce qui est public mais tout autant à ce qui est publiable, montrable. A ce que le temps reconnaît comme pouvant faire partie de l'espace public. Le corps, en se libérant, ou le croyant, a conquis cet espace. Montrable, mais toujours dans un registre érotisé, il s'offre, non dans sa réalité, mais dans une bien curieuse idéalité où, sans temps ni véritablement d'espace, il se conjugue avec le mythe de l'éternelle jeunesse qui, dans le cadre publicitaire, ne peut se présenter que sous des oripeaux pré-pubères.
doveHormis dans la publicité ci-contre, où l'on va se jouer de l'authenticité, le corps montré est - presque toujours- celui de femmes, de très jeunes femmes, voire de pré-adolescentes. Corps sans âge, sans marque, sans trace, corps souvent androgynes, corps pré-pubères qui à leur façon croient chanter les charmes de l'éternité, vantent en réalité les délices de la stérilité.
Je crains bien que ce soit la marque de notre époque. Que la logique industrielle pousse au constant renouvellement des marchandises et promeut pour cela le nouveau sur l'ancien; que notre logique productiviste eut par là inversé l'ordre du temps où l'âge d'or cesse de se trouver aux origines pour systématiquement être rejeté au-devant de nous - rendant possible par là notre métaphysique du progrès - ceci nous le savons depuis longtemps et je parie pour ma part que ce mouvement fut idéologiquement entamé dès Descartes! Mais que cette espérance du nouveau s'inscrivît systématiquement dans l'éloge de la jeunesse, ou, plus exactement de cette éternelle jeunesse qu'est la pré-adolescence, ceci, non décidément, n'était pas inscrit d'avance et n'en laisse pas d'être révélateur.

L'éloge de la jeunesse

Curieuse époque que celle qui récuse son passé et croit atteindre l'éternité et/ou la beauté sous les auspices de la jeunesse ! Comment ne pas songer à La Mort à Venise de Th Mann ?

Comment ne pas comprendre que par le biais de la mondialisation cette époque a cru pouvoir réduire le monde à un simple village planétaire ? Qu'avec internet elle a cru pouvoir tout réunir, rassembler (penser? 6) en temps réel comme on disait autrefois, c'est-à-dire dans l'instant, dans l'immédiateté la plus absolue ? Comment ne pas comprendre que celui qui s'installe ainsi au-dessus de l'espace et du temps, ne fait pas autre chose que se prendre pour dieu ?

ni le soleil ni la mort ne se peuvent regarder en face

Nous le savons tous et c'est bien pour ceci que j'hésite entre deux interprétations :

- psychanalytique d'abord, pour autant que ce désir d'absolu, ce désir du tout, tout de suite répond exactement à ce que Freud nomme principe de plaisir. Pour autant que la normalité se joue dans la constitution d'un Sur moi qui permette de survivre en déplaçant, dans l'espace, nos désirs d'un objet vers un autre, ou, dans le temps, en remettant à plus tard la satisfaction de ce dernier; où c'est toute la culture qui se joue dans ces refoulements, déplacements et autre sublimation, on a presque envie de dire que notre époque relève ni plus ni moins d'une vaste régression où se joue, manifestement sa névrose. Époque qui n'assume plus sa crise oedipienne, la modernité itérativement sombre dans une bien belle fixation dont elle ne sortira pas sans heurt ni souffrance.
De ce point de vue si le publisexisme peut heurter en ce qu'il chosifie la femme et la réduit à l'état d'objet, s'il justifie les légitimes préventions que le féminisme dénonce, il faudrait encore rajouter qu'il renvoie aussi, de manière plus globale et à ce titre plus grave encore, à une forme de vie sexuelle régressive et pathogène sinon pathologique. On y retrouve cette dé-réalisation évoquée ci-dessous par où l'image ne serait plus qu'un jeu, de ces jeux qui font la vie enfantine. On y joue à, on fait comme si et pour un peu on finirait même par trouver cela attendrissant. Les enfants mettent une incroyable gravité dans leurs jeux; les adultes non ! C'est peut-être tout ce qui les sauve encore.
Je n'ai aucune compétence en la matière, et redoute toujours un peu de sombrer dans la psychanalyse de gare, mais enfin, quand même : peut-on oublier que la phase infantile où régresser est la phase sadique-anale? Doit-on alors s'étonner que la publicité louvoie avec tant de constance autour des représentations de l'agressivité, de la violence ?

- métaphysique ensuite : je ne parviens pas à oublier ce vieux commentaire talmudique narrant combien fut foudroyé celui qui, voyant les tables de la loi tombés à terre, voulut les ramasser. En dépit de l'évidente bonne volonté, le sacré ne se peut soutenir ni du regard ni des mains. Non plus que l'absolu ! tous les récits rappellent que si l'homme pouvait ne serait-ce qu'un instant regarder Dieu, il en serait immédiatement consumé. Foudroyé !
C'est cette même histoire que narre Borgès dans le Miroir et le Masque : le poète n'a plus qu'à mourir et le roi se faire mendiant d'avoir atteint cette plénitude !
C'est enfin ceci aussi que met en évidence TH. Mann : le vieil écrivain sans inspiration subitement fasciné par le jeune éphèbe ! C'est que l'adolescent représente la Beauté elle-même, infinie ! Nul étonnement à ce qu'elle s'incarnât dans le jeune garçon : cet âge est celui encore de l'indistinction, de l'ambivalence, de l'indétermination. L'Idée est belle, qui se contemple ( ce que le grec nomme théorie) mais, même chez Platon elle ne se donne qu'au prix de long efforts, d'une réelle conversion, et d'aveuglements succcessifs !
Je crois bien que cette époque est la plus religieuse qui soit, sous le fallacieux prétexte de l'affranchissement. A défaut de croire encore qu'elle puisse atteindre l'absolu, elle en usurpe la place, transcendante et en mime la puissance. Cette époque n'est pas profane mais profanatrice.
L'esthétique ainsi promue, l'idéal que l'on nous sert est toujours celui d'avant: avant l'origine; avant la détermination; la volonté; avant le chemin et la vie. C'est celui du tohu-bohu originel, du chaos d'avant le démiurge, de ce souffle plânant au-dessus des eaux troubles du néant. En un mot c'est celui de la mort, ou plus exactement de la régression vers la mort. C'est celui d'un arrière-monde tellement vertueux que virtuel ! Logique de faibles dirait Nietzsche, incapables de supporter temps et devenir, contradictions et luttes, réfugiés dans un idéal calme et pérenne ! Est-ce pour autant à ceci que ressemble l'esthétique que vante la modernité, et la publicité avec elle qui en est le symptôme ?
La mise à nu systématique de ce corps sans marque ni trace, l'exhaussement de la jeunesse immaculée sont autant d'odes paradoxales à l'impuissance, à l'irresponsabilité. D'où, chose étrange, rien ne s'ensuit ! écrivait Musil. Oui, je crains bien qu'il ne s'agisse que de cela. La modernité a oublié le monde à vouloir le conquérir; gommé le corps à vouloir le libérer; sclérosé l'humain à prôner l'humanisme.

C'est ici que je vois l'étonnante capacité de la publicité à se garantr une immunité : en renvoyant systématiquement à nos fantasmes iréniques. Loin de moi l'idée de mésestimer ce qui peut s'y jouer d'atteinte à l'intégrité et dignité de la femme; l'idée seulement que ce sexisme-ci n'est qu'une des flexions d'une régression bien plus ample: anthropologique !


1) voir le site

2) mais ceci serait l'objet d'une thèse plutôt que d'un billet !

3) voir storytelling

4)Je tiens, messieurs, à vous préciser le cachet de l'oeuvre littéraire de M. Flaubert et ses coups de pinceau. Il a quelquefois des traits qui veulent beaucoup dire, et ces traits ne lui coûtent rien.

Pinard au procès Flaubert

5) Procès Flaubert

6)puisque c'est après tout l'étymologie de logos